Séquence 03

[Série de maisons de campagne :
programme domestique et économique]

65

Maison d’un employé

Plans, coupes, élévations

Planche 17

Déjà les Zéphyrs sortoient de leurs retraites, et la fraîcheur du matin s’étendoit dans la plaine. Déjà la musique des airs se faisoit entendre. L’oiseau précurseur du printemps éveilloit le voyageur, et propageoit des sons harmonieux.

Le travail commence. Tout favorisoit l’espoir d’un beau jour ; tout sollicitoit l’inspecteur des travaux qui avoit promis de guider mes pas. Les plans généraux que j’avois vus étoient présents à ma pensée, lorsque la nuit, encore revêtue de son crêpe, me permet de deviner la vaste esplanade qui précédoit la porte d’entrée de la saline.

L’imagination est un contrat tacite entre celui qui conçoit et l’artiste qui donne à penser. Si le commun des hommes est oisif, si leur action est lente, voyez combien le pouvoir du sentiment ajoute aux jouissances, quand il devance la curiosité, il voit où les autres ne voient rien. Quatre rangs d’arbres à haute tige, des massifs épais accotent cet édifice, et prolongent des ombres, encore imparfaites, sur les gazons couverts de la pluie argentine du matin.

Le soleil, obscurci par des teintes encore indécises, grandit les surfaces, et offre à mes yeux prévenus la demeure d’un immortel. Je me crus transporté dans ces climats capricieux où la flatteuse illusion, bercée dans le trouble d’un songe, prépare un réveil qui se confond avec les charmes du délire. La scène change ; Phébus apprête ses coursiers ; déjà les tresses d’or qui soutiennent leurs crinières flottent dans l’air tranquille ; il ajuste à son char les orbes mobiles de ses roues, les rayons roulent sur le grand cercle qui nous éclaire.

Dans les premiers terrains, destinés à construire des maisons particulières, qu’apperçois-je ? De petits édifices, dont la plupart ne présentent qu’une croisée sur chaque face. Quelle est leur destination ? Le gouvernement, voulant donner des modèles à la portion des hommes la moins fortunée, avoit construit plusieurs maisons qui rassembloient tous les points d’utilité et de solidité, et n’avoit pas même négligé l’ordonnance relative. Afin de diriger l’impulsion ultérieure, 79 occupé de la récompense qui stimule le travail et étend les facultés, il destinoit ces résultats ostensibles de sa gratitude à des commis qui jouissoient d’une pension méritée, mais très-modique.

La nature de nos erreurs est la même que celle qui stimule nos lumières. L’exemple qui soumet l’homme à son empire, plus qu’une loi qui le contraint, va déterminer les habitants voisins à fixer leurs retraites dans ces lieux de prédilection. Qui peut en douter ?

J’approche, je vois des porches préservatifs des intempéries de l’équinoxe. J’entre, je trouve des chambres à coucher, au midi ; on y montoit par des escaliers doubles ; les pentes moëlleusement alongées, couvroient la provision de bois ; et le rez-de-chaussée étoit occupé par des pièces destinées au service journalier. De petites cours recéloient tous les besoins de la vie ) et la poule soigneuse rassembloit autour d’elle sa famille. L’écurie exposée aux vents d’orient, le garde-manger au nord, ofFroient les grands principes réduits dans l’espace de quelques toises. On trouvoit dans les jardins les sucs nourriciers, des légumes, des plantes aromatiques, et tout ce que la nature prévoyante semble prodiguer dans nos climats favorables, pour le soulagement de l’homme. Des arbres à fruits ployoient sous la fatigue, et annonçoient déjà le repos qui fait renaître l’abondance. La surface fleurie du noyer presse d’avance le débit des huiles. L’effet général, qui n’est que le produit du temps, sembloit l’avoir prévenu. Telle est la vertu dans son principe. Si le danger paroît, le courage l’affronte ; s’il prévoit d’avance les menaces du destin, il peut sans s’agiter en attendre l’effort.

Des chênes verds, des pins orgueilleux perçoient la nue, interposant, entre le ciel et la terre, leur forme gigantesque, ils font fuir au loin tout ce qui les approche. Des sorbiers fatigués du poids de leurs grappes, l’acacia à la tête légère, tomboient par flocons, et lioient délicieusement ces habitations diverses. Le massif de lilas, la fleur du sureau s’élevoient à la hauteur des premiers planchers, et répandoient dans les pièces habitées, le charme odoriférant des plus doux mélanges. Par-tout l’utilité étoit accolée à l’art ; par-tout elle prétoit à la terre ses agréments, à un taux intéressé. Voyez jusqu’à quel point celle-ci pousse ses recherches et le rafinement de ses parfums. La jouissance, irritée par le désir qui s’accroît à mesure qu’on le satisfait, ne veut pas même être arrêtée par le fossé triangulaire qui cache un palis de troëne, d’épines blanches, de jasmin jaune.

Si elle a l’air de céder au besoin de l’isolement, ce n’est que pour mieux tromper les yeux, embrasser tout à-la-fois, et surveiller des possessions indéfinies. Les scènes sont tellement multipliées, que les contrastes atteignent avec un nouveau plaisir, les plans qu’ils peuvent rassembler pour se perdre, avec eux, dans l’horizon, qui s’agite et renvoie une lumière flottante. Ici le rideau du monde n’est pas fermé pour toi. Tu n’as pas besoin de déchirer la toile qui sépare une nouvelle aurore, tu vois les merveilles que tu as créées.

Tout ce que ma muse transportée pourroit peindre, n’est rien à côté des effets que la lumière féconde. Inaccessible à l’œil des mortels, impénétrable à la vue perçante, tu verses avec profusion l’éclat intarissable des feux répandus dans l’immense firmament ; tu fais sortir de leurs sphères les astres qui vivifient le monde. Tu fais sortir de la terre cent modestes demeures, revêtues d’un caractère particulier, quoique les besoins soient presque tous les mêmes. Que d’effets ! Quelle variété, que d’idées successives elle fait naître au voyageur qui parcourt avec rapidité les lignes où les produits de l’art sont espacés !

L’imagination, qui grandit tout, et peut embellir, je dis plus, changer l’ordre immuable du monde, rappelle par-tout à sa vue, les objets les plus imposants. Ainsi, sur la voie Appienne, des temples, des trophées, des statues colossales, des colonnes millières, des sépulchres, annonçoient aux regards étonnés, les merveilles de la capitale du monde.

Voilà ce que peut l’art, s’il est enflammé par l’ambition d’atteindre aux plus hautes spéculations des jouissances humaines. Jusques-là, j’avois vu les descendants du premier homme circonscrire leurs besoins dans un espace très-exigu.

80

Eh quoi ! le créateur de toutes choses n’a-t-il donc mis aucune différence entre l’espace nécessaire à l’usage de la vie, et celui que la mort nous laisse ?

L’homme mastique, avec l’argile, des remparts mouvants, pour se préserver de la férocité des bêtes ; il assemble le caillou qu’il a sous la main ; on le voit s’abriter avec le chaume provocateur des flammes inconsidérées du ciel et de la terre. Et ce même homme à qui la nature a donné une tête altière, est obligé de se courber pour obtenir la paille délaissée. Le croiroit-on ? tout est calqué sur ces poncis serviles, sur ces dispositions humiliantes accréditées par la barbarie et la destructive habitude.

O toi ! qui fais mouvoir le monde, et qui assembles ses perfections ! dis moi, qui pourroit enfler le voile qui couvre la lumière répandue dans le firmament ? Dis moi par quelle fatalité le temps, qui nous transmet les connoissances, a-t-il retardé dans cette partie de l’art qui intéresse la masse dominante, la progressive agitation de ses ailes ?

Le voici : Il semble que les hautes sciences dédaignent les hautes destinées qui les attendent, si elles font l’application d’un principe naturel qui les attache à des succès inapperçus ; il semble que la puissance méprise tout ce qui la constitue, pour éblouir, par de faux rayons, les vues foibles qui ne peuvent les soutenir.

L’antiquaire dirige le goût de son siècle sur des ruines amoncelées, sur des calques, souvent infidèles, qu’il transmet à la postérité qu’il abuse. L’astronome organise la voûte des cieux, calcule l’éclipse, et trace la route des orbites. Le géomètre mesure la terre ; Chemmis la charge de colosses immortels, dont les assises soulevées jusques dans la nue, sont coulées avec la sueur humiliante de l’esclavage. Des souverains se mettent à la place du soleil, pour décrire le cercle que les arts doivent parcourir. Ils élèvent des palais somptueux sur les débris du malheur. Ils accumulent les trophées dans des galeries qui rappellent les outrages faits à des nations vaincues. Ils fondent des arcs sur les bases mouvantes de l’humiliation qui excite de nouvelles fureurs. Eh bien ! que résulte-t-il de cette analyse pompeuse ? De quels côtés que j’étende mes regards, que vois-je ? Par-tout l’homme est exaspéré, par-tout il est englué dans l’amorce trompeuse du merveilleux, et s’éloigne du sentier que lui indique la nature.

Au milieu de toutes les saccades qui n’ont pas même réveillé le genre humain de sa léthargie, est-il quelqu’un qui se soit occupé de construire une des cases qui auroit pu contribuer au bien des premiers habitants jettés sur la terre, et qui auroit amélioré le sort de la race future ? Qu’a-t-on fait pour elle ? Rien.

Si la chaumière de Romulus a disparu, je ne vous en sais aucun gré, passions dédaigneuses, c’étoit pour y bâtir le Capitole. Comment a-t-on pu oublier ce peuple laborieux, le véritable peuple ? Est-ce que la maison du commis ne doit pas être solidement construite ? Est-ce qu’elle ne doit pas être préservée des atteintes destructives des éléments perturbateurs, des entretiens coûteu , des incendies inopinés ?

Oui, sans doute ; car, si le travail fait un premier effort, le travail permet-il toujours de le renouveller ? L’Architecte de la nature ne connoît ni les palais, ni les chaumières. Je dirai plus, le chaume est un vol à l’engrais des terres. La voûte commune couvre indistinctement l’infortune et l’opulence. Et si l’airain qui brille sur le palais des rois garantit des éclats du tonnerre, celui qui le dirige ne veut pas que des bois fragiles, recouverts de la tige desséchée du chanvre, provoquent son phosphore fougueux, et mettent en défaut l’insuffisance.

Je conviens de vos principes, mais dans les délires bienfaisants qui semblent subordonner les constructions de luxe à celles qui n’en sont pas susceptibles, l’application est impossible.

Dieux, vous l’entendez ! le trésor public, les compagnies intéressées peuvent bien solliciter les soins d’un artiste à des distances éloignées, mais l’indigence entretiendra-t-elle des lampes dispendieuses pour illuminer un petit coin du monde que personne ne voit. Quel abandon de principes ! Je n’apperçois aucun profit pour elle, aucun même pour le gouvernement. En 81 effet, que produiront ces ordonnances relatives aux habitants isolés des campagnes ? que produiront ces cazins embellis par des conceptions élevées, peut-être exagérées ? que produiront ces fabriques, que l’art caresse dans ses rêves délicieux ?

Qu’importe à la masse souffrante, à celle qui s’appitoye sur le sort du genre humain, si l’amant de du Tobozo voit des palais où sont des chaumières ; s’il livre des combats aux pygmées qu’il prend pour des géants ? Qu’importe si un miroir convexe qui rassemble les rayons du soleil, les répercute sur un foyer divaguant qui éblouit les regards ? C’est un éclair passager dont l’existence fuit et ne peut être durable.

Mais quelle est votre erreur ? Pourquoi ne voyez-vous que l’éclair, quand la lumière est permanente, quand les agents du pouvoir veulent même l’entretenir ? Vain espoir ! La volonté est impuissante quand l’ignorance commande. L’ordonnateur instruit, celui qui tient tous les fils, et ne laisse rien échapper, va tout-à-l’heure être remplacé par celui que la faveur du moment étaye. Ce dernier ne sera plus occupé qu’à se débarrasser des filets dans lesquels on enlace son insuffisance. Qu’arrive-t-il ? La barbarie succède à quelques étincelles de lumière. Les connoissances qui l’ont précédée disparoissent et se confondent dans les ténèbres de la présomption qui remplace le savoir. Mais à vous entendre, il n’y a donc que les gouvernements, ou les fortunes surabondantes, qui peuvent perpétuer les arts utiles. Voilà comme les préjugés s’accréditent. Les arts d’agrément, répandus sur la terre, doivent marcher d’un pas égal avec l’économie politique. Voulez-vous leur donner des valeurs extensives ? Voulez-vous rendre leur accroissement nécessaire au grand nombre ? Il faut éveiller les intérêts communs ; alors tous les hommes sont portés à concourir à la progression.

Les situations, les villages, les bourgs, les villes, prennent de nouvelles formes qui excluent la froide monotonie, et réchauffent les conceptions. Ce que les administrateurs n’auroient pu faire, on le fera pour eux. Croyez moi, j’ai pour garant cette prunelle pénétrante qui veille sur tout. Elle commandera aux vents qui assurent la salubrité des lieux. La maison commune, celle du ministre du culte, celle de l’habitant, que le besoin de la voie publique abat et relève, occuperont la sollicitude administrative. On ne verra plus les maladies putrides désoler l’imprévoyance. On ne verra plus les pailles corrompues infecter la terre ; le produit des digestions fermenter sur des toits brûlants. De nouvelles habitudes, dictées par l’exemple, maintenues par des surveillants, entretiendront le corps et l’esprit dans les usages journaliers qui constituent la force et assurent la santé.

Nota.
Les planches 30, 42, 84 offrent à-peu-près les mêmes besoins, les mêmes principes.Les détails portés sur les plans, coupes, élévations ne diffèrent que par les convenances respectives. Le but de cette discussion sur la demeure d’un commis, a été de prouver qu’un édifice peu intéressant par lui-même, peut accélérer le progrès de l’Architecture, s’il développe des idées puisées dans la nature, si on généralise le principe qui offre à l’imagination tout ce qui peut la remuer et la provoquer.Voyez, pour votre instruction, Columelle, Xénophon et le Prœdium rusticum du père Vannier. L’artiste qui voudrait s’étendre sur tous les détails dont la plus petite maison est susceptible, se perdrait dans le labyrinthe ; ils sont aussi variés que les climats, les fortunes : c’est à l’économie à les rapprocher, à l’Architecte à les rassembler sur les formes avouées par l’épuration des temps.
82

Maison de campgane

Plans, coupes, élévations

Vue perspective

Planche 18

Le goût est indépendant des caprices du jour. On peut le puiser dans la théorie de la nature, et dans la pratique des seuls préceptes qui émanent de lui. Les premiers Architectes l’ont établi sur les besoins avoués par la succession des temps ; ceux qui les ont suivis l’ont érigé en loix, l’ont imprimé sur la pierre mobile qui a produit la variété et a donné le mouvement universel. S’il étoit possible d’oublier les produits intermédiaires qui l’ont dénaturé ; s’il étoit possible d’oublier les entraves qui ont enchaîné ses facultés, que de chefs-d’œuvre la liberté de concevoir nous eût transmis !

Habitants des campagnes, si vous compilez les ouvrages des meilleurs artistes, pour vous en approprier les convenances, ne vous séparez jamais des seules bases qui peuvent justifier vos dépenses : le goût se trouve par-tout où la pureté des lignes est présente ; il se trouve par-tout où le peintre de la nature souffle l’esprit de vie, et se lie à sa puissance pour offrir le tribut d’harmonie qu’il lui doit. Celui qui n’admettroit qu’une manière de chanter le dieu des bergers, seroit un roquet qui jappe en poésie : celui qui réduiroit tout à sa manière de voir, nous offriroit le despotisme de l’homme borné qui n’admet que ce qu’il conçoit ; c’est une huître dont le cœur aride croit qu’il ne peut y avoir, dans le monde, que le stérile rocher sur lequel elle est attachée, et sa coquille immobile.

La distribution de cet édifice a été dictée par un grand-maître des eaux et forêts, qui vouloit être à la portée de son service 1. Voyez la nomenclature,. L’imagination vous retracera l’étendue des jardins utiles, et ceux d’agréments ; la vue perspective vous offrira la disposition des masses de bâtiments qui contrastent entre elles, et se lient au charme pittoresque qui réveille les sens assoupis.

83

Plan
d’une maison de campagne
destinée à un mécanicien

Planche 19

Je ne ferai pas aux hommes instruits l’injure de les oublier ; je décrirai la demeure du savant qui consacre ses veilles au bonheur de la société. Ici le luxe des arts sera banni : une façade simple convient à la modestie de l’homme qui met toute sa gloire à être utile à ses semblables. Étranger au fracas du grand monde, concentré dans le cercle étroit de quelques amis, il ne lui faut que de petites pièces, sur les murs desquelles on retracera les souvenirs qui stimulent puissamment les produits du génie : la pièce principale, celle qui intéresse le plus l’artiste, c’est un cabinet retiré, loin du bruit inséparable des soins domestiques, à l’abri d’un caprice amoureux qui pourroit retarder, je dis plus, anéantir l’inspiration du moment. Il faut l’éclairer par le haut, afin que la pensée ne soit pas distraite par des objets extérieurs. Un arrière-cabinet est nécessaire pour le préserver des importuns ou des oisifs.

Des livres, des instruments de physique et de mathématiques, des modèles de machines, voilà les meubles chéris du savant ; on lui préparera de vastes rayons où l’œil puisse tout saisir à travers les miroirs transparents qui éloignent les atteintes humides et les vents impurs qui soufflent la poussière.

L’imagination a besoin d’être nourrie, alimentée par des comparaisons ; il faut donc qu’elle puisse errer sur tout ce qui l’environne. Que de découvertes heureuses sont dues au hazard du coup-d’œil qui tombe sur des objets qui paroissent sans analogie et totalement étrangers l’un à l’autre ! La tête du savant n’est jamais plus fortement occupée que lorsqu’il paroît être dans une inaction absolue ; sa léthargie apparente, est le calme trompeur du Vésuve ; elle prépare l’explosion du génie.

Si l’Architecte, sacrifiant son amour-propre à la simplicité, à la commodité, a su procurer à la méditation du savant un azile impénétrable à la distraction, il aura bien mérité de la patrie, qui lui devra des découvertes utiles, soit aux progrès des lumières, soit à l’aliment du savoir.

Quoique toutes les sciences se tiennent par une attraction insensible, que presque tous les besoins soient les mêmes, l’Architecte consultera cependant le savant pour lequel il doit bâtir.

Le laboratoire du chimiste ne doit pas être disposé comme le cabinet du mathématicien ou de l’astronome. La maison du mécanicien doit réunir presque tout ce qui convient aux autres : bibliothèques, instruments, fourneaux, atelier de fondeur, de menuisier, de forgeron ; rien n’est étranger à cet art précieux, que la futilité du siècle semble dédaigner.

On court en foule applaudir aux éclats convulsifs d’un tragédien, aux tours de force, aux grâces d’un danseur ; leurs noms sont répétés par-tout avec éloge, tandis que l’on ignore celui du mécanicien qui rivalise la nature, supplée au bras, à la jambe que les fureurs de Bellone ravissent. Toujours émerveillé de ce qui n’est que frivole, on admire le flûteur ou le canard 84 de Vaucanson ; on ne va pas voir le métier à filer la laine, le coton, le lin, la soie : on connoît à peine les machines ingénieuses qui transportèrent l’obélisque du Vatican, la pyramide de Sextius ? le fronton du péristyle du Louvre ; celle qui ravit aux marais de la Finlande le rocher de granit sur lequel repose la statue de Pierre-le-Grand. On dédaigne, à cause de sa simplicité, l’instrument qui réduit les métaux les plus durs en fils déliés et presqu’imperceptibles ; personne ne connoît les métiers à l’aide desquels on fabrique les étoffes variées qui couvrent le pauvre dans sa cabane et tapissent le palais des grands.

C’est le mécanicien qui creuse les tubes de bronze, de fer ou de bois, qui portent, au gré de nos désirs, la terreur et la mort, ou des eaux vivifiantes qui broyent cette pâte incorruptible devenue le dépôt de la pensée des siècles anéantis, et le flambeau de ceux à venir. C’est encore lui qui transporte du sommet des rochers les plus escarpés, et qui place sur nos navires ces mâts dont l’œil n’atteint la hauteur qu’avec respect. Nous lui devons ces machines animées, dans lesquelles une légère vapeur produit de si puissants effets ; les ponts hardis suspendus sur les fleuves les plus impétueux, ces écluses qui maîtrisent leurs pentes dangereuses, ces dômes qui semblent menacer le ciel, c’est encore au mécanicien que nous en sommes redevables, et cependant cet homme si précieux vit presque toujours ignoré.

Gloire lui soit rendue. Puisse parvenir jusqu’à nos derniers neveux, le nom des Archimèdes nouveaux qui savent lier si essentiellement le bonheur des humains aux grands intérêts des nations ; puisse sur-tout l’Architecte se pénétrer du besoin de connoître les loix et les ressources de la mécanique, et ne pas dédaigner les principes d’un art qui peut le servir aussi utilement !

Les plans indiquent les besoins.

Planche 20

Les élévations offrent le style que l’on croit convenable à l’habitation d’un savant.

Les coupes donnent les hauteurs des planchers.

Les jardins destinés aux légumes, aux plantes médicinales, au verger, sont bordés par des eaux douces, extraites de la Loüe. C’est-là, c’est dans ces lieux d’agrément où la tête du savant remue en tout sens, où nous avons placé les différents cabinets et ateliers de tous genres dont nous avons fait la description.

85

Maison de campagne
Plans, coupes, élévations

Vue perspective

Planche 21

M***. veut bâtir une grande maison et multiplier les appartements ; il est ami de la solitude, sa femme aime le grand monde ; il est amoureux d’elle, flatte ses goûts ; c’est un moyen de faire supporter les siens. On croit qu’un homme est heureux parce qu’il est riche, parce que l’objet de ses affections les plus vives traîne, dans un char brillant, les provocations qui allument tous les désirs ; quelle erreur ! Garder un trésor que tout le monde envie n’est pas chose facile : le bonheur et le repos ne marchent jamais du même pas ; souvent ils rencontrent des amas d’épines où les serpents font leurs nids et piquent ceux qui les touchent.

Les tendres émotions sont ennemies de la léthargie de l’ame et du trouble de l’esprit. Comme la violette au bleu foncé se cache au milieu des humbles enfants de l’ombre pour déployer ses caprices innocents et parfumer au loin l’atmosphère, de même le plaisir gagne dans le secret des consciences, ce qu’il dissipe en vapeurs oiseuses quand il est agité par les souffles turbulents qui l’évaporent ou le dissipent.

Veiller sans cesse une beauté qui fait précéder par ses dédains les complaisances qu’on lui prodigue, être sans cesse repoussé par l’orgueil d’un sentiment auquel tout le monde applaudit, c’est un enfer dont la constance, en vain, veut faire un paradis. Il faut cependant en convenir, on ne peut aimer que ce qui est aimable : si l’homme aimable n’est pas sûr d’être aimé, celui qui ne l’est pas est bien sûr de déplaire.

La beauté est impérieuse ; c’est une divinité qui gouverne le monde des sensations ; si elle imprime le mouvement à l’univers, elle doit être au moins la maîtresse où le mari commande : c’est une chaîne de diamants qui enlace délicieusement son esclave ; si le monde s’altère sans cesse, il est bien juste qu’il soit gouverné par le moteur éternel qui le fait revivre. Mais ici l’amour brûle d’un feu sans espoir, qui le consume. Les facultés s’éteignent au lieu de s’accroître : c’est un mort qui n’a plus que l’apparence de la vie ; c’est une ombre qui quitte les bandelettes conservatrices de l’existence, et ne peut quitter les liens qui favorisent ses illusions. Ah ! que les maux sont dangereux alors qu’ils emportent avec eux l’idée du bien ; ils tuent.

Ceux qui s’affectionnent à l’erreur ne se laissent jamais désabuser : en vain les songes poursuivent leur réveil, en vain les songes les assurent que leur imagination s’égare, ils voient de leurs yeux ce qu’ils ont rêvé ; ils voient souvent plus, rien ne les corrige. Ah ! qui voudroit braver le sort ? qui voudroit céder à l’effort de ne plus estimer ce qu’il aime ? Cependant il est contre nature, contre la raison, d’aimer ce qui répugne. On trouve des remèdes pour guérir ce qui afflige, mais pour ce qui plaît on craint la guérison. Un poireau sur le doigt de celle que l’on chérit, est une perfection.

86

C’est ainsi que l’on cède à ses penchants et qu’on laisse dans les cuisants revers, qui affectent le cœur, l’énergie du courage. C’est ainsi qu’un fébricitant désespéré voit arriver le terme où la fièvre qu’il supporte et qui le mine, va passer pour toujours dans ses veines incurables.

L’amour épuré est une vertu bien rare ; comme cette perspective, il faut le montrer sur toutes les faces, pour le bien juger ; il faut le voir au point de vue. Le vainqueur des Gaules, de la Thessalie, de l’Arménie, de l’Espagne, est vaincu par les attraits d’une coquette dans Alexandrie ; il gouverne l’empire du monde ; il est gouverné par un caprice. Annibal gagne la bataille de Pavie, de Trébia, du lac de Trasimène ; il abat la splendeur de Rome, après la défaite de Cannes ; et le prudent Annibal est enchaîné par une courtisanne, dans une ville de la Pouille.

Qu’est-ce que tout cela prouve, sinon que la gloire est le superflu de l’honneur : souvent elle s’acquiert aux dépens du nécessaire ; le sentiment naturel l’emporte sur les vertus factices.

Ici ce n’est pas l’Architecture qui forme l’Architecte, c’est l’Architecte qui puise, dans le grand livre des passions, la variété de ses sujets. Ne croiroit-on pas qu’elles se courbent devant lui pour lui découvrir le vaste horizon qui se confond avec les derniers cercles du monde ? En effet, la disparité des caractères nécessite des distributions et des décorations dissemblables. Pourquoi faudroit-il un toit uniforme pour couvrir des dégoûts multiformes ? Pourquoi assujettir des jouissances personnelles, et les renfermer dans des conventions dégénérées par l’habitude ? La vertu est-elle incompatible avec la liberté d’habiter, la liberté d’agir ? Non, sans doute ; cette distribution prouve le contraire 1. Mad.***. habitoit un des pavillons ; elle aimoit à converser avec un petit parent de province qui avoit beaucoup d’esprit.. Chacun peut être isolé, bien vivre, même avec des goûts opposés.

Consultez, observez leurs nuances, fondées sur les usages habituels, elles contribueront à faire valoir vos talents, aussi variés que les caractères ; elle prêteront à l’inconstance de l’art des souvenirs ravissants qui développeront de nouvelles affections. En variant les plans, les élévations seront plus piquantes ; elles produiront des effets multipliés, et feront disparoître les situations arides.

Voyez-vous l’azur des cieux s’enflammer, et verser une lumière brillante qui répand un nouvel éclat sur le devant du tableau ? La fraîcheur de la rosée tombe, et les masses se retirent à l’ombre ; les bandes du couchant, diversement colorées, dardent leur influence pour la faire valoir ; et si la nuit descend de la voûte éthérée, ce n’est que pour prolonger ses effets tranquilles et mystérieux, et vous apprendre que les détails sont inutiles. Déjà l’aurore s’empare du monde ; la lune cède sa place à cet astre brillant qui la dévore ; les arts se réveillent ; un nouveau jour commence.

87

Plan
d’une maison de campagne

Planches 22 et 23

Le goût qu’on veut avoir gâte celui qu’on a.

La maison que vous appercevez, dans le massif à droite, est celle d’un ancien conseiller au parlement de Besançon, qui a ses terres aux environs. Son aspect ne présente aucun des accessoires que l’habitude a consacrés comme principe. Elle est couverte en tuiles creuses. La saillie du toit remplace l’ombre portée par la corniche. On voit des rampes douces, des terrasses, des bâtiments destinés à l’usage des cours de service, qui contribuent par leur mouvement à faire valoir l’objet principal. Deux porches défendent les nuds des murs opposés, des neiges pénétrantes du nord, et des ardeurs brûlantes du midi. Le ton de la pierre, qui ne le cède pas aux plus beaux marbres, suffit à la richesse des faces latérales. La décoration intérieure est sans doute dictée par le même esprit : assez et rien de trop.

Tout étoit ainsi conçu, lorsqu’un voyage à Paris dérangea ces sages dispositions. Le propriétaire aime les arts, il accueille la nouveauté, dépense une grande partie de son revenu à l’embellissement de ses appartements et de son jardin. En entrant dans l’antichambre, nous voyons un amas incohérent de toutes les discordances ; dans le sallon, des panneaux multipliés dont la plupart étoient lozanges, les fonds étoient bleus, rouges, gros-verd. Des thermes peints en porphyre, des marbres égyptiens, les bois sombres de l’Afrique encadroient de petites vues de l’escalier du Vatican, de la métropole de Paris, de la mosquée de Constantinople : le tout étoit entrelacé avec des rinceaux d’ornements trempés dans le Cocyte, pour faire valoir des paquets de fruits, de fleurs, des thyrses, des pampres de vigne. Un plafond de forme ronde étoit inscrit dans un carré. À l’aide de la lorgnette, on appercevoit des camées échappés aux débris de Babylone, des myrthes reverdis par la rosée du matin. Des cuisses de biches, peintes en bronze, étoient recourbées sous le poids accablant des tables de granit rouge. Un lion mutilé soutenoit la pesanteur du marbre noir qui couvroit la cheminée. Vous savez que la chaste sculpture est moins scrupuleuse que la peinture ; si elle montre tous les nuds, si ses mœurs sont plus sauvages, elle pense moins au présent qu’à l’avenir. Mais la peinture se prête à tout ; elle peut dépouiller la nature du voile de la pudeur ; elle a dans sa puissance une chaleur inextinguible : elle a le secret d’imprégner nos sens de tous les genres de voluptés.

Nous entrons dans la chambre à coucher, et pour être d’accord avec le principe, nous voyons des arabesques de tous genres ; le bonnet ailé de Mercure, son caducée, les Vents cardinaux terminés en queue de poisson. Les rayons éclatants d’Apollon étoient opposés à de sombres serpents dévorateurs, qui entrelacent la tête de Méduse. Des colonnes de vingt diamètres, couronnées d’un chapiteau gothique, peint en bronze verd, limitaient le domaine de l’amour, quand il étend ses pouvoirs. Dans l’épaisseur, on voyoit de longs peupliers entourer la tombe resplendissante d’un philosophe modeste, des ailes de chauve-souris colorer le plafond, inquiéter le plaisir, et le trône du Sommeil.

La maîtresse de la maison comptoit dix lustres. Un oratoire obligé avoit pris la place des 88 autels de Vénus. Que voit-on dans le boudoir travesti ? Les Saturnales d’un côté, les Lupercales de l’autre. Les Grâces mutilées, et leurs cuisses couvertes d’écailles ; des nageoires chimériques ; des urnes funéraires ; l’encens du trépas, pour parfumer le réveil de la vie. C’étoit la confusion de tous les délires concentrés, c’étoit un amalgame inconsidéré de toutes les disconvenances. Toi ! qui dans tes métamorphoses, dois rectifier les écarts de l’imagination, demande pardon au goût des friponneries que tu lui fais.

Nous parcourons le jardin : de longues feuilles d’eau baignent nos jambes et les embarrassent ; les orties les piquent, les tourmentent. Nous traversons un fossé couvert, que l’on avoit approfondi pour dessécher une montagne. Nous traversons un ruisseau alimenté par la citerne voisine ; sa teinte verdâtre étoit confondue dans les pâles couleurs du saule pleureur : ses branches agitoient la surface. Nous traversons des massifs d’arbres verds, d’ébéniers à fleurs, etc. etc. Nous découvrons un temple au dieu de la médecine. Quelle contradiction ! Des fabriques moresques, tudesques ; des ruines gothiques, la complication de toutes les scènes, les quatre parties du monde, renfermées dans l’unité d’un arpent et demi de terre environ. Nous prenons un petit sentier, il étoit inondé par les pentes indiscrettes qui le dominoient. Sans ces débordements, on l’eût pris pour le moderne Achéron. Nous appercevons de loin un toit couvert de joncs. Quelle incohérence ! nous approchons ; notre surprise est extrême ; après avoir vu tant de richesses qui annoncent la dépense, la Pauvreté, revêtue d’un habit d’anachorète, se présente à nos yeux. Elle présidoit aux jardins légumiers, ordonnoit aux arrosoirs du matin de réparer les torts de la veille. J’étois las de tout ce que j’avois vu ; des chemins tourmentés, pour multiplier les surfaces, avoient fatigué ma tête autant que la vue des appartements avoit échauffé mes yeux. J’en savois assez pour me convaincre que les abus dérivent des meilleures loix. Tout étoit bien, séparément ; tout étoit mal, ensemble.

On pourroit mettre en principe que le bien dépend de la manière de concevoir, de diriger ses idées, et de les appliquer. En effet, si les teintes des appartements étoient rembrunies, si le cerveau de l’artiste étoit obscur et discordant, s’il avoit négligé l’harmonie qui plaît, s’il avoit décelé un sentiment dominateur, qui attache à l’Architecture mobilière, qui assortit ses conceptions aux niveaux d’appui, l’enfant gâté de Thémis, accoutumé à juger le fond sur les pièces, pourroit bien être trompé : car, on ne peut en disconvenir, l’artiste avoit de l’esprit jusques au bout des doigts ; sa touche étoit séduisante. Mais, dites moi par quelle fatalité les dessinateurs par excellence, depuis Michel-Ange, ont-ils perpétué leur fécondité pour accréditer les mauvaises formes 1. Michel-Ange est ici regardé comme Architecte ; il a fait le dôme de St. Pierre., entassé tous les genres d’ornements ? Pourquoi dessinent-ils tous avec le crayon falsificateur qui affronte les regards sévères du discernement ? Pourquoi délayent-ils toutes leurs couleurs dans le même vase ? Le voici.

Le compilateur met la terre à contribution pour remplir ses porte-feuilles. Il repasse sans cesse, rappelle des souvenirs pénibles pour multiplier des emplois faciles ; séduit par l’attrait d’une plume piquante, par le charme d’un pinceau qui abuse les yeux. Il enchaîne à ces impostures l’aridité de ses moyens. Il s’approprie les écarts qui favorisent son inertie. Toujours embarrassé dans le choix, son génie se paralyse et s’enveloppe dans la perplexité qui détruit tous ses ressorts. Semblable au fils de Céphise et de Lyriope, qui sans cesse répercute ses traits séduisants dans l’onde argentine, il est épris de lui-même, et sèche de langueur au milieu de ses jouissances.

Le défaut de génie est aussi dangereux que le délire qui enfante les erreurs. Si les connoissances acquises le développent, souvent la vue d’un édifice indiscrettement préconisé, des livres en réputation, de nombreuses gravures, le circonscrivent et l’entravent.

89

Le savant qui laisse aux races futures des traits purs, l’analyse des grands principes, sans doute est utile ; il peut développer des germes inattendus : niais ceux qui les copient, souvent expliquent mal ce que leur faculté obscurcit d’avance. Homère a-t-il besoin de compiler pour faire le meilleur poëme épique ? L’imagination méconnoît ces éphémérides astronomiques, ces tables où on écrit la course du jour : elle grandit tout ce que l’impuissant rapetisse, et franchit les limites qui retardent les vérités premières. Pour n’avoir pas vu les colonnes qui séparent les montagnes de Calpée et d’Abyla, on n’est pas moins frappé de l’idée que le nec plus ultra écrit dessus ne fixe pas l’horizon, encore moins les connoissances qu’on ne peut assujettir. Rien ne constate plus la pénurie du génie que le faux emploi des ornements dont les artistes tapissent nos murs intérieurs.

Ici je m’arrête. Un tel a la main paralysée ; cet expéditionnaire en Architecture tremble, ne peut plus dessiner. La nouvelle est fâcheuse ; que dis-je ? elle est consolante. L’Architecture ne perd pas un Architecte. Quand on a la liberté du choix, qui peut empêcher de multiplier les modèles qui honorent les plus beaux siècles ? Voulez-vous copier ? Si vous n’avez pas les facultés de l’invention, la maison carrée, dont l’exécution assujettit toutes les conceptions aux calculs qui séduisent nos sens, vous offre un bon exemple. Au lieu de charger la terre des produits de l’ignorance de chaque pays, pourquoi n’érigeriez-vous pas, sur des bases avouées, d’autres monuments, qui multiplieroient les bons principes ? L’imitation pourroit au moins assujettir le faux goût.

Au lieu de s’appuyer sur les produits épurés qui élèvent l’esprit public par des combinaisons qui lui en imposent ; qu’arrive-t-il ? On multiplie les dépenses sans profit pour l’instruction ; on meuble nos cabinets de bambochades dispendieuses, quand on pourroit étaler les sublimes proportions. On compromet la dignité de l’art dans des scènes avilies par l’occupation dominante d’un choix dépréciateur. Quoi ! si le pilote assujettit à son pouvoir la plaine orageuse, si l’aimant attractif dirige nos villes flottantes, l’Architecte qui marche à côté des couronnes qu’il immortalise, ne pourroit pas descendre un moment du rang où son génie l’a placé, pour élever à sa hauteur l’homme du monde qui le consulte. C’est toujours sa faute, quand les arts, qu’il commande, sont ravalés. Il peut perpétuer les Phidias, les Appolonius,les Appèle. Il étend son impulsion même sur les ouvriers imitateurs qui manufacturent les dieux. Les règles du goût ont des bazes sûres ; elles sont indépendantes des exemples qui pourroient l’entraver. En littérature, peinture, sculpture, c’est l’économie, bien entendue, qui prépare la richesse. Les contrastes, les oppositions l’assurent. En Architecture, une porte bien profilée, une corniche dont les ombres se prolongent sur les nuds d’une seule teinte ; des bronzes qui, malgré le fragile caprice du jour, échappent à la destruction ; un mobilier simple et subordonné à l’usage ; le radieux orient qui dissipe, dans le plafond, le nuage obscur ; la robe éclatante de la nature qui revêtit l’innocence printannière ; l’œil du monde qui assujettit délicieusement la vue sur des surfaces tranquilles ; et tant d’autres pensées qui suffisent pour donner l’idée de l’homme qui s’entoure d’émotions successives.

Les ornements de détails fatiguent les yeux sans profit pour les mœurs ; c’est une existence passagère qui souvent ne survit pas à celui qui l’a donnée. Quand cessera-t-on de les multiplier au-dedans ? Quand cessera-t-on d’être avare au-dehors, de mépriser cet imposant appareil de tous les produits de l’art qui constituent la grandeur d’une nation ?

Tout s’embellit par l’expression d’un sentiment exalté ; il fait un Adonis de Vulcain ; du bonnet de Phrygien le casque d’Achille ; du plastron d’un athlète la cuirasse d’Agamemnon. Les Grâces se rassemblent sous les pinceaux du Corrège.

L’histoire ne lie-t-elle pas assez l’instruction des siècles passés avec les rapprochements qui doivent illustrer le nôtre ? Si l’artiste veut s’entourer des connoissances qui ont accompagné son éducation première, s’il veut remuer les ailes engourdies du temps, il évitera une décoration sans motif qui flétrit le fruit de ses études ; il éveillera l’impardonnable indolence des hommes décidant une dépense énorme, avec l’abandon qui place dans le nombre collectif des bijoux 90 le magot de l’Inde qui obstrue les miroirs où la beauté répercuteroit, au profit de l’inspiration, des charmes provocateurs des facultés de l’art.

Loin de vous ces bizarreries qui perpétuent l’ignorance, dégradent l’artiste, asservissent son exaltation. Croyez moi, suivez la nature des lieux, embellissez les situations ; occupez vous des personnes ; retracez les vertus, pour extirper les vices ; que l’énergie de votre bras soutienne les guides laborieux qui dirigeront sûrement votre course. À travers les champs ingrats qui ne rendent pas même le germe qu’on leur confie, la persévérance vous découvrira une terre inépuisable, dont la récolte inattendue comblera votre espoir. Méfiez vous de ces fantômes qui font disparoître la proportion avec l’enthousiasme qui la fait naître ; méfiez vous de ces imposteurs qui s’enveloppent de couleurs abusives. Des traits purs, sans ombres accessoires, éviteront des erreurs mensongères qui charment l’auteur, décèlent le compilateur, séduisent l’ignorant et usurpent la confiance.

Alors on verra l’homme de génie s’élever sur les lignes imprescriptibles du goût. Il débrouillera le chaos, il percera la nue qui cache le prestige ; il s’élèvera sur des masses bien combinées, sur des ombres prévues et largement prolongées ; elles produiront les effets qui seuls peuvent étonner ; semblable à l’oiseau dominateur des airs, il planera sur la voûte inflammable ; il dirigera les foibles, poursuivra, dans son vol rapide, les nombreux insectes qui la surchargent, et débarassera l’atmosphère de l’espèce rampante qui s’agriffe aux aîles des oiseaux du premier ordre, pour les sucer en détail.

Vous, qui tenez dans vos mains la destinée des beaux arts ; vous, que l’on peut capter par des complaisances qui décèlent votre néant, vous répondrez de tous les délits du goût aux puissances qui étayent son empire. Déjà la troupe livide des remords vous entoure, elle va vous punir d’avoir pressuré la gent laborieuse pour éterniser la foiblesse de votre dictature et le vuide de vos délibérations.

Maison de campagne

Plans, coupes, élévations

Vue perspective

Planche 24

Le terme de la vie d’un Architecte est si court qu’il n’a pas un moment à perdre ; il a tant de choses à faire ; tout sollicite les puissances de son ame. Les agitations du dedans, les fatigues du dehors concourent à développer ses passions et à étendre ses facultés. Que faire au milieu de ces anxiétudes ? Il faut qu’il rêve la nuit ce qu’il doit exécuter le jour : tout le monde sait que la pensée est fille du silence ; elle se possède mieux lorsque les plaisirs attachés à la vue disparaissent, lorsque les orbes mobiles de la nuit se rassemblent pour éteindre les flambeaux d’un jour inquiétant, et que le ciel déploye ses voiles bruns, pour préparer l’obscurité. Le sommeil étant l’image de la mort, l’homme morcèle son existence si l’action cesse, il la prolonge s’il veille. Qui peut ignorer que c’est le temps propice à recueillir les sens troublés par la contradiction des 91 heures ? Les idées divaguent et se confondent dans l’espace immense des affections ; l’éclat du jour offre moins d’avantages à la réflexion que le calme de la nuit.

Rassemblez tout ce que vous offre la tradition, c’est, il est vrai, le rendez-vous d’une infidelle qui peut tromper ; elle obscurcit les fastes qui lient l’enfance du monde avec les siècles pervers ; elle confond les âges, les sexes, les rangs, les rois adorés, les tyrans haïs, les arts, les lettres, à l’apogée de la splendeur ; tour-à-tour exilés, ou faisant d’infructueux efforts pour franchir le seuil fatal où ils sont arrêtés. Que vous apprend-elle enfin ?

Démocrite se crève les yeux 1. Quand on s’est fait une idée des grâces et de la beauté, comment peut-on se priver d’un sens aussi délicieux ? Il tourne au profit de l’ouvrage, il est au détriment de l’auteur. pour méditer profondément et détourner la distraction ; Homère, aveugle, concentre dans l’harmonie pompeuse du poème épique, la force qui s’accroît par la privation d’un sens qui divertit les pensées, franchit les intervalles, soumet la distance pour s’entretenir avec les immortels ; il peint les dieux tels qu’il les croit, les hommes tels qu’il les conçoit : il devient un poëte sublime.

En effet, les hommes pompent avec les yeux les vertus et les vices, les impressions du plaisir et des peines, les effets qui stimulent la conception dans les arts ; ceux qui régularisent leurs sensations par la réflexion, préparent en tous genres les délicieux transports du cœur. On dit, par exemple, à celui qui ne voit rien (et c’est le plus grand nombre) : cet édifice est majestueux ; on ne peut rien ajouter à la beauté de son ensemble, l’imagination embellit l’image. À l’aide des plus séduisantes fictions, c’est un délire, c’est un transport qui agite la veine paresseuse ; c’est un dieu régénérateur qui imprime le mouvement des plus vives émotions. Si les yeux, au contraire s’affectent du mauvais goût que le prince, au nom de la nation, étale sur un palais, les yeux détruisent le prestige qui les avoit fascinés, les yeux vous égarent.

Cependant si la force, qui est le souverain, m’avoit lancé dans la carrière pénible de ceux qui gouvernent les autres, j’aurois accueilli, j’aurois caressé les aveugles, j’en aurois fait mes sublimes intendants ; ils ne voient rien, ils croient les hommes tous bien constitués et propres à supporter tous les fardeaux : si j’avois gouverné les cœurs, j’aurois.... Au surplus personne n’ignore que les nations recueillies pensent plus fortement que celles qui sont douées d’un caractère léger et mobile. Voyez ces braves Insulaires, il pensent, créent, inventent, et laissent à d’autres les détails minutieux de la perfection. Voyez ce que peut l’art quand ses influences provoquent jusqu’à la cécité, pour développer de nouvelles conceptions ; voyez le parti que l’on peut tirer des surfaces que fécondent les chimères de la nuit ; la troupe obéissante des facultés croît, se divise, et se plaçant au gré des esprits, provoque les résolutions ; c’est ainsi que l’homme s’élève au sommet des idées pour caractériser le génie qui anime les marbres : c’est ainsi que l’art, par un nouveau défi avec le ciel, transmet aux siècles éclairés la progression de ses charmes, et donne un nouveau lustre à l’empire qu’il a sur les humains bien organisés.

Telle est la généreuse expérience, maîtresse avouée du temps, on peut la comparer à ces fleuves profonds qui ne retournent jamais à leur source ; s’ils accumulent les eaux des hautes montagnes, ce n’est que pour laisser aux riverains intéressés, le moyen de puiser les richesses éternelles qui appartiennent à l’origine des mondes.

Que vous dit cette expérience ? Tout détail dont on ne peut saisir l’ensemble est perdu ; tout détail est inutile, je dis plus, nuisible, quand il divise les surfaces par des additions mesquines ou mensongères.

La privation de la lumière 2. Les planches 36, 45, 54, 103 offrent l’application du principe, et ne diffèrent que par la variété des plans.L’usage a perpétué dans les campagnes des planches assemblées, communément nommées volets, pour tranquilliser la nuit contre les incursions de ceux qui exercent un pernicieux talent que les loix punissent, et se préserver de la contagion des saisons désastreuses. On a perpétué les jalousies pour se garantir d’un jour fatiguant. L’amour qui se mêle de tout a voulu l’éteindre au besoin : ne vaudroit-il pas mieux éviter ces entretiens coûteux et placer les jours sur le second plan ; non-seulement on seroit à l’abri de la malveillance du temps, mais on obtiendroit des effets décidés que les ombres d’un porche ou péristyle assurent.En voyant cette élévation on pourra juger que les pilastres carrés font la fonction de mur-plain, et cependant offrent dans les interlignes des ombres qui les dessinent. On obtient le double avantage d’avoir de l’air, de l’effet apperçu des plus grandes distances ; on élague les entretiens, on évite l’emploi des bois qui s’altèrent et se détruisent en peu de temps., combinée avec les rayons du soleil dont le jeu éblouissant jaillit 92 sur les surfaces pour les argenter, sollicite la puissance des ombres, et force l’interruption du jour à noircir les soupiraux bienfaisants de l’air, pour obtenir des effets avoués par la distance.

Cest ainsi que le dieu des arts, dans sa course périodique, darde ses influences que la succession des heures fixe dans la pensée.

Plan général
des portiques destinés au service des maisons de commerce

Élévation et coupe

Planche 25

Une ville placée au centre de deux rivières, à la proximité d’une forêt de quarante mille arpents, au centre du continent qui communique à la mer du midi, par le canal de Dôle, à celle du nord par le Rhin et le port d’Anvers, nécessitoit des habitations de commerce et des entrepôts de tous genres.

La fabrication des fers, des aciers polis, la cizelure des cuivres, les manufactures d’armes, de cristaux, de porcelaine, les forges où l’on souffle le métal qui nivèle les intérêts des nations, toutes les richesses arrachées à la terre, fixoient dans ces lieux les produits de la ville de Genève ; les arts de luxe de Birmingham, les gouffres enflammés de Pontouvre, du Mont-Cenis, l’horlogerie, cet art consolateur qui distribue la mesure de nos plaisirs et confond nos jouissances dans le cours périodique d’un sommeil passager, sollicitoient le travail et promettoient des résultats heureux. Les bois de construction, les matériaux du pays lioient essentiellement l’intérêt particulier à celui du gouvernement.

La puissance qui dirige les ouragans de la finance, dissipe les tempêtes politiques, soutient les empires ou prépare leur chute ; celle qui entretient l’industrie, artisan du bonheur qui répare les désastres de l’air, secourt les habitants des campagnes, veille ; pour elle rien n’est indifférent : elle sait qu’elle puise dans la secrette étendue de ses pouvoirs les ressources qui les assurent ; elle sait qu’en maîtrisant l’intempérie des saisons, elle cache des trésors sous la précaution qui multiplie ses ressorts. Elle ressemble à ces chênes qui éparpillent sur la fougère le gland reproductif que la saison d’hiver recouvre de feuilles mortes ; les germes reverdissent par la rosée végétale, et la nature s’enrichit de sa stérilité apparente.

93

On élève cent portiques sur les bords du canal de Roche. Déjà la blonde Cérès couvre la terre d’une blanche poussière ; l’ambroisie renfermée ouvre en assurance ses ventouses embaumées : l’Inde, splendidement transportée sur l’Océan, parfume ces voûtes ; déjà elles abritent les transports du Bengale, de l’Arabie heureuse, et les préservent de toute altération.

On offre à la circulation des communications qui favorisent l’accès de tous les services, préparent l’abondance et défient les ravages de la disette, fille imprudente des spéculations mal dirigées. Tel un nocher, voyant la mer en courroux, ploye ses voiles et trompe l’aquilon fougueux.

En effet, n’est-ce pas le rendre impuissant que de prévoir ses fureurs. On n’a plus à redouter les vapeurs humides qui tombent dans les nuits d’été ; on n’a point à craindre les flocons qui fatiguent l’attention dans les soirées du Verseau, les glaces qui compromettent la sûreté de l’homme, et les miroirs glissants qui provoquent son imprudence ; le sol est assuré, il est pavé de bois à compartiments, échauffé par les souffles du midi, raffraîchi par les vents du septentrion ; par-tout le soleil sent mourir ses rayons, et la température est à l’abri de tous les désastres.

Quand l’auteur de la nature composa l’homme, il concentra ses premières facultés dans l’exercice de ses bras : les descendants d’Archimède ont fait plus, ils ont multiplié sa puissance par son génie ; dédaignant la loi commune qui l’assujettit aux heures d’un travail obligé, il met en mouvement des milliers de serviteurs industrieux ; des bois économes, placés à des distances combinées, obéissent ; on les voit soustraire dans le jour, tout ce qui pourroit être altéré par les caprices imprévus de la nuit.

Des arcs multipliés appellent de toutes parts la précaution. Qu’il seroit à désirer que ces essais timides de l’art pussent s’accréditer dans nos villes de commerce ! Conçoit-on que la cité la plus populeuse, Paris, qui rassemble tous les arts de luxe, huit cent mille consommateurs intéressés au principe, n’ait pas encore étendu ses regards sur ces octomètres dont la nécessité est généralement reconnue.

D’où vient l’insouciance ? Rarement les administrations passagères provoquent l’avenir ; les hommes assemblés pour régir, sont fatigués par le poids du moment ; circonscrits par l’apathie du grand nombre, par des intérêts isolés, des habitudes qui gênent les conceptions, on asservit leurs élans. Cest ainsi que l’intérêt commun languit sous la servitude inextinguible des difficultés.

On peut juger du plan général par le détail des besoins ; l’élévation est simple, et la coupe indique la hauteur des planchers.

94

Vues perspectives
de maisons destinées à des négociants

Planche 26

Plans, coupes, élévations
de maisons destinées à des négociants

Planche 27

Il est plus aisé de parcourir les vastes champs ouverts à l’imagination, que de resserrer ses conceptions dans un espace circonscrit par le terrain et la dépense ; mais paroître grand, produire des effets piquants avec des plans tranquilles, dans une superficie de vingt-quatre pieds, dans œuvre, sur quarante, c’est dans ces points donnés, qui enchaînent le génie, qu’il est difficile d’arrêter les yeux et de présenter la variété.

On aura fait quelque chose pour le succès de l’art, si on prouve que rien n’est à négliger, si on agrandit les surfaces, si on offre des effets inattendus, dans les situations les plus communes, si on supprime les détails qui atténuent la pensée, si on a suivi les loix que la solidité exige. Il faut en convenir, un Architecte a peu d’occasions de laisser aux races futures des monuments qui fixent d’avance la place qu’il doit occuper dans le temple de mémoire ; mais il en a beaucoup quand la nature et l’art président aux constructions ordinaires, quand il ne livre pas exclusivement au métier ce que l’orgueil du génie semble dédaigner.

Tout le monde sait que le logement d’un marchand, un dépôt d’épiceries, n’élèvent pas autant les idées que le palais que l’on destine à la Beauté qualifiée, à la maîtresse du souverain. Chaque sujet prend la couleur de celui qui le traite ; il suit les degrés de l’inspiration ; il est plus ou moins élevé et dépend du souffle instantané qui le fait éclore. Croyez moi, rien n’est indifférent : c’est presque toujours la faute de l’artiste, quand le siècle ne remue pas dans le sens qui lui plaît ; il a dans sa main le miroir ardent qui échauffe l’univers ; rien n’est au-dessus de lui que l’éclair qui brille sur sa tête. Il peut donner l’impulsion qui propage les loix du goût. On a beau faire, ses yeux percent à travers les obstacles ; c’est un réverbère qui répercute ses rayons victorieux dans l’obscurité.

Ce qui nuit le plus au progrès de l’art, c’est le sentiment que le génie inprime dans l’âme de ceux qui n’en ont pas. La flamme qui rayonne sur sa tête éblouit, son éclat en impose sur la dépense présumée. On fuit la lumière pour concevoir dans les ténèbres ce qui s’accorde le plus avec les idées communes ; et si on fixe la résolution, ce n’est que dans le rapprochement de l’ignorance consultée qui flatte ses écarts. Qu’arrive-t-il ?

95

Un traitant charge la terre de masses coûteuses, il étale ses millions sur des lignes indéfinies ; il élève des toits azurés qui électrisent le nuage ; il fatigue ses murs d’ornements, les couvre d’or ; il salit ses plafonds de complaisances coupables, de couleurs bizarres

Ce dépréciateur du goût ruine sa race par une somptuosité mal entendue, qu’il puise dans la fantaisie ; et loin d’enrichir les fastes de l’art, il les appauvrit. Quelque chose qu’il fasse, partout on voit le néant des idées, par-tout on voit des perles fausses tapisser le séjour luisant de ce reptile stupide.

À quoi sert la richesse, si celui qui la possède n’a pas le moyen de la répartir. Autant le goût est économe, autant l’incapacité est prodigue. Si le premier élève, au sommet des glaciers, une retraite sentimentale, on y reconnoît l’expression qui attache le regard ; par-tout l’esprit du beau stimule délicieusement les organes susceptibles. Ici, sous les traits de Psyché, l’amant retrouve la beauté qu’il aime. Là, on voit les Heures retracer sur des tables reconnoissantes les événements heureux de la vie. Là, le triomphe de l’Immortalité, et les Parques impuissantes enchaînées à son char. Par-tout on rencontre des marbres animés par les feux de Prométhée. Les plaisirs en foule se pressent et vous sollicitent ; la surprise, à chaque pas, suspend les sens. On est plein de souvenirs consolants, et on se livre à cette douce ivresse qui ravit, par la succession rapide des motifs qu’on y rencontre.

Tous les moyens de séductions appartiennent à l’Architecte, lui seul peut les faire éclore.

Homère chanta les dieux, les héros ; pourquoi l’Architecte, ce Titan de la terre, qui tient dans ses mains les échelles qui montent au suprême degré, dédaigneroit-il le conseil des dieux avec lesquels il peut communiquer, pour expliquer aux humains, un langage élevé qui leur convient ?

Pourquoi descendroit-il dans le cercle usé du répertoire de l’école ou dans les replis des sociétés intéressées à éteindre la lumière, pour la faire disparoître dans l’obscurité qu’elles entretiennent ? sociétés où l’art endormi semble tout exclure, pour mettre fastueusement en évidence le précepte empesé qui en impose et trompe la crédulité du vulgaire ?

La coupe indique la hauteur des planchers, la distribution, les galleries, qui dégagent tous les genres de services et les préservent des intempéries.

La maison parallèle est destinée à un libraire ; on trouve dans les jardins, et sur les bords du canal, tous les genres d’établissement réunis ; la gravure des caractères, la fonderie, l’imprimerie, une papeterie, des magazins de papiers, les dépôts de livres en feuilles, les ateliers de brochage et de reliure, une bibliothèque, des magazins de vente, des sallons de gravures, de manière que l’œuvre de l’imprimerie est terminée dans la maison.

96

Plan, coupe, élévation
de la maison de deux ébénistes

Planche 28

Des hommes usurpateurs des droits communs oublient le bien général pour ne voir que celui qui leur est personnel, croyant trouver dans la médiocrité, qu’ils partagent avec le grand nombre, une espèce de dédommagement qui les distingue. Ils ont donné la liberté à une partie des arts pour asservir l’autre. Le croiroit-on ? Ils veulent que les arts qu’ils qualifient de libéraux, considérés comme luxe, ne soient pas à la portée de tout le monde ; que ceux qu’ils appellent mécaniques, généralement répandus, puisqu’ils alimentent la portion industrieuse des peuples, éprouvent une baisse qui satisfait leur amour-propre. J’ai peine à le concevoir. En effet, connoît-on quelques arts où l’usage des mains ne soit pas nécessaire ? en connoît-on où il soit proscrit ?

Qu’est-ce que l’art ? Cest la perfection du métier. Le dessin n’appartient-il pas à toutes les classes ? Celui qui prend la forme du pied, du corps, celui qui élégantise ou parfume la chevelure, celui qui cizèle les métaux, les fond, les dore, celui qui charge nos tables de l’appareil pompeux de ses vases, celui qui construit les palais, fait descendre les dieux pour les placer dans nos temples, celui qui retrace l’olympe sur les voûtes hardies qui étonnent nos sens ; tout est ouvrier.

L’homme ordinaire est un artiste ouvrier, l’homme distingué est un ouvrier devenu artiste. Voilà deux classes bien distinctes confondues dans la seule qui existe. Le génie en est le produit commun. Comme il est peu ordinaire qu’il blesse une partie des hommes, il ne recueille les fruits de son isolement que quand la Parque a coupé le fil des illusions.

Celui qui sait le plus doit instruire celui qui sait le moins ; c’est un devoir qu’il contracte avec l’humanité ; c’est l’acquit de sa reconnoissance envers la nature qui l’a favorisé.

Vous pensez donc qu’il faut connoître les lettres avant d’assembler les mots ? Oui ; ce n’est pas tout ; l’épuration dans le choix des maîtres assure les mœurs publiques ; mais prenez-y garde, un centre d’instruction souvent favorise la manière ; le crédit qu’il acquiert, par l’inaction des idées de ceux que l’on considère comme le nec plus ultrà de la perfection, arrête les regards de la multitude, l’asservit et fixe ses préjugés.

Eh ! quoi, le soleil n’est-il pas plus lumineux que les astres qu’il reflète ? Sans doute ; mais la comparaison n’est point admissible. Ignorez-vous que les meilleures loix dégénèrent en abus ? Les corporations fastueuses, soutenues par le trésor, ressèrent leurs facultés dans le cercle étroit de l’appointement. Rarement elles vont au-delà de ce que l’on exige d’elles. C’est le foyer des talents de convention qui éclairent le monde ; c’est-là où ils brillent sans contradiction ; les uns scrutent les autres au gré de leurs foiblesses ou de leurs déférences mutuelles.

La plus grande partie vit de l’opinion tributaire ; fantôme des réputations mal fondées, elle vit aux dépens de ceux qui se distinguent.

Assis sur le même banc, celui qui languit dans la légion se croit déjà un général habile, un savant, un artiste par excellence. Ce dernier est tellement identifié aux défauts du corps, 97 qu’ayant besoin de faire des progrès, il n’en fait plus. Pourquoi ? parce qu’il n’a rien à désirer. Son apathie rétrograde fuse dans le foyer absorbant qui détruit tous les germes. S’il s’isole, il est mal vu. Veut-il s’élever, penser, agir à part ou contradictoirement ? ce n’est qu’aux dépens de sa tranquillité ; la persécution le suit et s’étend jusqu’à ses derniers rejets.

Si les ouvriers de tous genres étoient associés aux recherches des hommes instruits, si les savants les appelloient à leurs discussions, voyez ce que la chose publique gagneroit ! Cependant, si la dignité des corporations privilégiées s’y oppose, l’intérêt général l’exige. Il faut l’avouer, c’est l’exemple, c’est l’occasion qui développe les talents ; c’est l’étude qui propage tous les degrés de l’instruction ; et quoique les nuances ne soient pas apperçues de tout le monde, elles n’en sont pas moins sensibles aux yeux des hommes qui ne négligent rien pour les faire valoir.

Par-tout où il faut des connoissances motrices, le travail de la tête ne précède-t-il pas celui des mains ? C’est le plus, c’est le moins qui élève l’artiste ou le rabaisse ; mais quelque chose qu’il fasse, on connoît l’esprit qui l’anime. Découvre-t-il les ruines d’Herculanum, il trouve les ustensiles les plus communs soumis aux loix du goût. Il ne néglige rien de ce qui peut multiplier nos jouissances. Plus il fouille ces terres pour fomenter l’aisance par la culture des arts, plus il étend les branches commerciales. Il appelle l’histoire pour nous retracer les faits les plus piquants, la fable pour amuser l’enfance et l’associer de bonne heure aux traits héroïques et aux situations naturelles qu’on lui fait admirer. Il fait plus, il ne dédaigne pas l’argile périssable que l’on emploie dans nos cuisines, il surveille la pureté du trait ; enfin de quelque côté que l’on se tourne, on voit le sentiment apprécié, qui n’est descendu dans la dernière classe que par l’inspiration de la première.

O vous ! qui rassemblez les talents de tous genres, invitez à vos séances la multitude industrieuse ; vos moyens généralisés se compliqueront d’abord, se simplifieront bientôt, et passeront dans toutes les mains. Croyez moi, le temple du goût doit être égal à celui des dieux ; son diamètre est celui de l’univers, et sa voûte est celle de l’Éthérée ; recevez sans distinction l’ouvrier de tous genres. Faites à toutes les heures du jour l’appel de l’atelier d’un pôle à l’autre ; vous serez étonné d’apprendre de celui que la nature a favorisé, tout ce que vos profondes études vous auront refusé. Souvent, très-souvent ils dérangeront votre marche circonscrite par la règle, pour électriser vos pensées et faire éclore des produits inattendus 1. En causant avec abandon avec l’ouvrier, j’en ai souvent tiré un grand parti. Vous joindrez à une pratique élevée qui vous devra une partie de ses succès, une savante théorie. Vous encouragerez par des récompenses publiques, par des exemples, vous opérerez le bien que sans doute vous voulez faire, et que l’on attend de vous. Je vous le demande, quel est l’ouvrier qui ne s’enflammera pas au récit des merveilles d’Archimède ? Quel est le constructeur qui ne soit pas transporté si on lui parle d’un édifice de trois cents pieds, élevé au centre de la mer orageuse ; quel est le peintre qui n’élève pas au fond de son ame des autels à Raphaël ?

Je vais plus loin, les vertus et la valeur des autres développent chez nous des sensations qui produisent des élans. Est-il un soldat qui ne se sente élevé par l’impression que fait sur lui le caractère d’Achille ? Il n’y en a pas qui ne soit animé par le courage d’Ajax, la valeur de Diomède. Il n’y en a pas qui, à l’aspect du tombeau de Maurice, ne soit tenté d’y aiguiser son sabre.

Jugez le principe par les résultats. Homère, le premier peintre de la nature, erre dans Salamine et chante les aventures d’Ulysse. Comme un troubadour, comme un chansonnier de nos jours, il trouve à peine de quoi subsister. Que d’ouvriers ont commencé comme lui ; y a-t-il beaucoup d’artistes qui aient fini de même ?

Les plans, coupes et élévations sont suffisamment détaillés pour juger de l’esprit de variété qui a dicté le principe. Voyez les portiques construits sur la rue, ils renferment les dépôts où 98 l’affluence vient fixer son choix ; les ateliers, les magazins occupent le fond du jardin et se dégagent sur la voie publique.

L’analyse de ce plan présente moins d’intérêt que celle qui éveille les administrations sur le moyen d’étendre les facultés de l’ouvrier et de les honorer.

En effet, comment peut-on concevoir que ceux qui travaillent la nuit aux jouissances du jour de l’homme opulent, soient tellement avilis qu’il semble que leurs habits soient l’uniforme de la servitude ou le secret dévoilé de leur misère. Ne conviendroit-il pas, pour l’honneur de l’humanité que les vêtements dictés par la nécessité du rôle de chacun, fussent resserrés dans les magazins du grand théâtre ? L’homme, en les quittant, reprendroit dans l’ordre social, la tenue qui contribue à élever l’ame, et la dignité qui lui appartient.

Maison de campagne

Plans, coupes, élévations

Vue perspective

Planche 29

Un père de famille veut bâtir une grande maison sur cette terre préférée que l’art prit à partie pour la faire valoir. Il veut d’immenses jardins pour les plantes usuelles et médicinales, des pâturages où des troupeaux nombreux bondissent pour égayer la vue ; il veut des eaux abondantes dont le murmure agréable, puisse faire distraction aux peines de la vie.

La variété est aux yeux ce que la voûte étoilée est à la pensée. Elle amuse, elle transporte ; c’est l’ame du monde, on l’aime : qui ne la chériroit pas ? Pour corriger les hommes par l’exemple, il faut connoître leurs vices et leurs vertus ; il faut caresser les uns, pour faire adorer les autres. Le père étoit avare ; l’idée d’une grande maison l’effraye ; le présumé de la dépense travaille ses esprits inquiets. Utile occasion, c’est donc toi qui vas détrôner l’erreur, en flattant une passion avilissante.

Il avoit trois enfants ; l’un s’aimoit exclusivement ; l’autre auroit semé la discorde dans le champ le plus aride, qu’il l’eût fertilisé. La fille n’avoit jamais connu l’amour ; que je la plains ! Elle n’avoit jamais connu l’amitié ; qu’elle étoit malheureuse ! Sans cesse irritée d’avoir perdu les douceurs qui lient délicieusement l’enfance à l’âge mûr, ses aigreurs reproduites à tous moments par les souvenirs tourmentants de sa bile, et les teintes de bistre répandues sur sa figure trahissoient le secret de son cœur. Que faire ? L’Architecte embrasse les genoux de Minerve, fait sa prière ; il est écouté ; il est inspiré. Semblable à nos modernes Esculapes, il tâte la veine qui porte le sang du cœur aux extrémités, la consulte avant d’administrer le remède. Eh quoi ! faut-il se séparer pour toujours, quand un innocent stratagème peut consolider des nœuds resserrés par la nature ?

On propose quatre petites maisons, où l’on puisse communiquer par des galeries couvertes, 99 se rassembler ; le père accueille le projet, qui diminue la dépense journalière, et la fait supporter à chacun dans son isolement.

On propose la distribution, on discute ; on l’adopte. À l’égard de la décoration, il invite les peintres d’histoire, les littérateurs célèbres, les descendants de Phidias, les chefs des manufactures de cette fameuse cité, rendez-vous productif des nations qui savent apprécier les grands talents.

L’Architecte avoit combiné les masses qui devoient étaler sur la terre de larges ombres. Déjà les couronnements, devenus légers, se lioient avec le nuage transparent qui laissoit entrevoir l’immense azur de la voûte éthérée. Quel sera l’esprit de la décoration intérieure ? Les anti-chambres, considérées comme pièces destinées à recevoir l’affluence commune, offriront, en maroquin de Barbarie, des sièges sur lesquels glissent les dégoûts : l’intrigue, la bassesse, la platitude, la médiocrité reprocheront à quatre murs humiliés les fresques grimacières et hypocrites qui en fixent la durée.

La salle à manger retracera l’orgie du monde, tous les rôles de la société passeront en revue : on y trouvera des masques de tous genres, pour déguiser le scrupule, et éluder les loix que la police du cœur réprouverait, si ses intimes espions pouvoient le pénétrer : mais telle est l’impuissance de l’art, autant ses innocentes leçons tournent au profit des vertus, autant elles sont inutiles quand elles n’offrent rien à l’amélioration du pacte social : c’est un razoir dangereux dans la main d’un enfant ; il peut blesser.

Comment peindre le sallon qui rassemble tous les amis ? Emploiera-t-on toutes les couleurs ? Non. La franchise annonce une ame pure ; jamais les fausses teintes ne se trouveront étalées sur la véridique palette d’un peintre ; il copiera fidellement les portraits que l’usage accrédite ; on y verra la fausseté entourée de son nombreux cortège ; les complaisances intéressées, l’adulation, la louange, poisons plus actifs que ceux de l’astucieuse Circé.

On n’est pas tenu d’exposer au grand jour, dans la place publique, le sentiment qui nous domine. Il faut le renfermer dans le secret de son ame. Le mal-aise a sa honte et sa noble exaltation : pourquoi l’humilier par des ornements somptueux qui l’offusquent et n’ajoutent rien à la pureté des lignes ? L’or blesse les yeux de ceux qui ne le possèdent pas : pourquoi le prodiguer, quand l’art, d’accord avec les loix naturelles, réclame contre ces vanités oiseuses ? Mais les sensations que les peintres d’histoire font éprouver, étudiées sur l’application respective qu’on en peut faire, sont un bien commun à tous ; elles remuent les passions utiles, corrigent les mœurs, triomphent de la corruption du goût, et portent aux races futures l’expression conservée des plus précieux talents.

Les uns couchent dans des bois que l’on fait arriver à grands frais de l’Inde, pour les couvrir d’or et de bronze. Les passions déréglées courent et se pressent pour arriver au rendez-vous nocturne ; elles entourent, elles agitent le trône du sommeil. D’autres reposent paisiblement sur un châlit vermiculé: quelle extravaguante disparité ! Quoi ! parce que tout est excès, faut-il n’être pas jolie, dans la crainte de devenir laide ? Faut-il n’être pas jeune, pour ne pas devenir vieille ? Autant on met d’importance à préconiser des détails périssables, qui perpétuent la futilité des nations, autant on néglige l’utile véhicule qui les monte à l’apogée de leur splendeur.

Pour corriger un vice, les peintres valent mieux que les chanteurs des divins cantiques ; il est des vices que la religion ne peut atteindre. Voyez ce qu’il en coûte à ceux qui s’aiment exclusivement. Belle leçon. Narcisse épris de lui-même est insensible à l’amour ; il se regarde, ses charmes disparoissent ; il sèche de langueur. Quelle punition !

Mais l’empire des arts est donc bien difficile à gouverner ? Eh ! oui, sans doute, il est plus difficile que celui des peuples ; le premier soumet la science par la raison ; c’est une étincelante aurore qui efface les réverbères de la nuit ignorante ; le second commande à des aveugles, et ses arrêts varient à mesure que le mal augmente. Alors la nature, qui ne reçoit plus l’impression 100 du mouvement, par les vertus qui le mettent en équilibre, est sans force et sans activité.

On peut considérer les arts comme les agents des corps, des plaisirs, puisqu’ils peuvent assujettir les loix divines et humaines. Tout ce qui est composé peut se dissoudre ; tout ce qui a un commencement doit avoir une fin ; le temps détruira les opinions les plus caressées, mais le temps confirme les jugements immuables des tribunaux d’Apollon.

La douce Sapho charmera, éveillera les sens léthargiques au centre des cabinets voluptueux. Celui que l’on destine à l’étude n’offrira qu’un siège à la liberté de s’asseoir, les autres, recouverts de livres, de papiers, ôteront aux importuns, et aux parasites, la faculté de faire perdre au temps les heures qu’il réclame.

Les pièces de service, destinées aux dames d’honneur qui accompagnent madame, n’offriront à l’hymen, pour toute lumière, que la discrétion des habitants de l’Olympe, et aucun de ces dégagements, de ces faux-fuyants, par lesquels la corruption s’accrédite pour usurper les droits de la vertu. Le boudoir n’aura d’autres témoins des vols faits à l’amour, que les soirées confidentes qui glissent sur le firmament ; Morphée, le tranquille Morphée, malgré ses complaisances coupables, n’endormira pas la sentinelle soldée, chargée d’éveiller l’Hymen confiant.

Les pièces destinées à la propreté, aux usages de tous les instants, inviteront les marbres du pays à étaler leurs surfaces polies, pour amuser les yeux par la diversité des tons colorés ; la mozaïque apprendra à nos derniers neveux, que ce qui est durable n’est pas trop coûteux.

Les Architectes de ce temps-là ne seront plus marchands de papiers ; les vents destructeurs ne souffleront plus sur ces murs abandonnés au vandalisme, pour dévaster le luxe des vers à soie, et les chefs-d’œuvre des Gobelins. La peste des faubourgs de Péra, conservée sous la laine, leur aura développé les dangers des emplois exclusifs, que l’indigence obligée du Capucin nécessitera ; nos peintres, cessant d’être condamnés à l’inaction, imprimeront le mouvement universel que leur énergie sollicite d’avance.

Nos statuaires (ah ! je ne puis le taire ; l’art en rougit, mais l’impérieux besoin commande) ne seront plus condamnés à faire des modèles de pendules qui retracent, je dis plus, qui hâtent les heures de la destruction des empires.

Mais pourquoi l’art accorde-t-il ses faveurs à tant d’écarts ? L’art ; ah ! ah ! il a des ministres pour faire rire la multitude, et faire pleurer la classe instruite. Mais l’espérance est le songe de l’homme éveillé ; il abjurera la dangereuse facilité qui offre à la paresse cent mille rouleaux où le chiffon pétri éblouit l’ignorance, qui choisit une galerie somptueuse, la décoration d’un restaurant, un sallon magnifique et imposant, la tapisserie d’une guinguette, la parure de Thémis, et les sales grelots de la Folie. Que fit donc le conseil délibérant, qui veut que tout porte l’empreinte de l’analogie qui lui est propre ? Il ordonna que le papier serviroit à la garde-robe1. Jugez le ridicule des emplois exclusifs. Le papier est un présent des dieux, il faut en user et ne point en abuser. ; le reste fut motivé par le savoir.

C’est ainsi que l’on fait succéder les idées qui élèvent l’art, et peuvent étendre ses progrès, et qu’on les substitue à celles qui le dégradent ; c’est ainsi que l’on creuse les tombes pour en faire sortir la troupe aigrie des reproches, et des siècles qui s’affligent du faux jour qui les blesse. Telle est la prééminence de l’art sur le pouvoir suprême ; il fait librement et sans tyrannie, ce que l’autre ne feroit qu’avec de serviles esclaves.

101

Maison d’un employé

Plan, coupe, élévation

Planche 30

La distribution indique le besoin. Voyez la planche 17 : maison d’un commis.

Portiques

Plans, coupes, élévations géométrales
et perspectives

Planche 31

Voyez la création nombreuse des animaux, les jeux effrayants du ciel, la grêle homicide, les bêtes fauves et carnacières, errant toute la nuit, fuyant l’orage ; l’une cherche un champ de bled et se retire dans un lieu solitaire, l’autre fuit dans ses débordements la rive pierreuse qui la poursuit ; ici on voit le cerf, plus léger que le vent, se confier à sa vitesse, percer le buisson, s’enfoncer dans le bois pour y chercher un abri ; là c’est un loup qui s’élance dans sa retraite ; plus loin un sanglier dont la hure effrayante présage la destruction. Le monarque des forêts marche lentement, et quoiqu’il semble dédaigner l’orage qui imprime l’horreur, il se cache sous la roche ténébreuse. Si la foudre le fait sortir de sa demeure escarpée, c’est pour franchir les ravins, affronter les torrents, les fleuves périlleux ; il répand ses clameurs qui se perdent en échos dans les airs plaintifs. La nature toute entière fuit les désastres ; rien ne peut résister aux influences qui fatiguent l’humanité, quand la tempête agite ses tourbillons.

Le berger s’assied sous le platane ; la beauté cherche les bois mystérieux et les branches touffues pour abriter l’amour craintif. Tout présente à l’Architecte qui étudie la nature, les besoins de l’homme civilisé ; ces portiques naturels qu’elle sollicite pour abri.

Je ne vous parlerai pas de ces édifices somptueux qui rassemblent l’affluence d’un grand peuple pour discuter les affaires publiques ; je ne vous parlerai pas de ce luxe architectural qui appartient aux cités populeuses ; ici c’est une ville naissante qui demande ce que la nécessité 102 prescrit, et veut sur l’angle d’une rue opposer à la simplicité d’une maison 1. Voyez la planche. de modestes portiques où l’habitant, pressé par le nuage irrité, cherche le moyen de continuer des exercices salutaires. C’est sous ces voûtes fermées au centre, pour se garantir des chaleurs du midi, ouvertes au septentrion, pour raffraîchir l’air, que la foule qui se presse trouvera la salubrité et corroborera ses poumons ; c’est sous ces voûtes, consacrées à la méditation, à la discussion des intérêts particuliers, à la science, à la collection des meilleurs livres 2. Lucullus bâtit des portiques et une bibliothèque. Voyez Plutarque., aux jeux qui occupent l’esprit, sans compromettre les mœurs, que l’on trouvera la réunion indépendante des caprices perturbateurs.

Qu’il seroit à désirer que cette idée germât dans l’esprit de ceux qui s’occupent essentiellement du bien public ! elle est susceptible de la plus grande extension, et le principe peut s’appliquer à tous les genres de services. Que d’effets les Architectes pourroient tirer de ces arcs multipliés qui offrent à la combinaison, des contrastes, des oppositions.

Ici le temps déploie ses archives précoces ; je vois de nouveaux produits de l’art fondés sur la nature ; je vois nos villes et nos campagnes s’embellir ; que de variétés ! O toi qui coupes le fil des illusions ; toi qui dispenses l’avenir, pourquoi ne peux-tu pas retarder le moment destructeur qui m’ôtera le plaisir de juger les progrès de ces utiles conceptions ?

Atelier des scieurs de bois

Planche 32

Le monde tourne sur un axe mobile ; au bout de deux mille ans les hommes, les choses, pour maintenir l’équilibre, reprennent la même place.

Les Égyptiens tracent les ornements, les dessinent sur une teinte rembrunie qui les fait valoir. On découvre en Perse des monuments à qui le caprice du jour prête des valeurs ; la pénurie du génie s’en applaudit, elle compile, copie, et la transposition suit le flot obéissant qui égare un siècle. Les Grecs sculptent ce que les autres ont tracé ; l’art est porté au suprême degré et produit des chefs-d’œuvre en tous genres ; l’ignorance les pervertit : chacun divague au gré de son insuffisance.

On a détruit les écuries d’Augias, où la fange amassée empoisonnoit de proche en proche les sites qui réclamoient les parfums que la nature prodigue a distribués dans le monde ; et depuis la chaumière de Romulus, on élève encore des chaumières ; le luxe les perpétue ; le luxe les place dans les jardins somptueux ; il semble se décharger du poids fatiguant de la fortune qui construit les palais.

Comment se fait-il que dans un siècle qui rassemble l’instruction de ceux qui l’ont précédé, on donne tant de faveur aux chaumières ? Pourquoi ne pas effacer les traces de la pauvreté, pour la présenter sous l’apparence du bonheur, du merveilleux même ?

La classe nombreuse par-tout est dédaignée ; le tyran craint le peuple, le peuple craint le tyran, et pour l’abuser, ce conquérant des illusions désorganisatrices fait la guerre aux châteaux, aux palais, aux maisons de plaisance. Quelle fatalité ! Pourquoi plaider avec soi, quand tout sollicite à ne pas déranger le monde, à le laisser comme la succession des idées heureuses a voulu qu’il fût.

103

J’aimerois autant qu’un gouvernement dit aux arts : guerre à la fortune publique qui vous alimente, qui fait votre splendeur ; accès et faveur aux misères ; l’herbe que l’on foule aux pieds n’offre pas toujours le poison à la main qui la cueille : les serpents se cachent, rampent et traînent en longs anneaux leurs replis tortueux, et le puissant dieu de l’air qui dissout en pluie abondante le ciel pour enrichir la terre, ne veut pas que l’excès de ses biens ravage le monde et porte sur une terre préférée les maléfices et les désastres.

Le corps a des poumons pour raffraîchir la pensée et régler les élans de l’imagination. Quand l’homme de génie respire, sa poitrine est vaste et ses souffles ne sont jamais étouffés par des conceptions qui le dégradent.

Sans doute que l’ordre social nous offre des degrés où l’on monte à la puissance : tous les hommes ne peuvent être pauvres, tous les hommes ne peuvent être riches ; mais le point de mire, qui fait valoir le bien, appartient à tous, et le pouvoir a le plus grand intérêt de le faire appercevoir des vues courtes, puisqu’il est le premier soutien des empires. Un grand craint le génie qui sait dépenser pour le faire valoir ; il fait arriver des arbres à grands frais des quatre parties du monde pour colorer les bois de son pays ; il assemble les couleurs variées du prisme pour luxurier les vues arides ; il appauvrit le terrain sur lequel il érige une chaumière. Quelle manie destructive de tout élan ! il semble que les déplacements de toutes les idées ramènent l’homme au néant d’où elles ont pris naissance ; il semble que le bonheur soit relégué sous les toits de paille ; que l’azur et le cuivre doré soient le foyer commun des inquiétudes que les tourbillons de l’intrigue entretiennent. Que les trésors mal acquis tourmentent la conscience !

Cependant, il faut en convenir, qu’un peuple seroit grand s’il effaçoit sur la carte de son pays ces constructions insolides ! Les gouvernements peuvent tout ce qu’ils veulent pour opérer le bien. Détruire les chaumières, c’est rendre à l’homme sa dignité, sa sûreté ; c’est préserver les cités nombreuses des incendies destructifs, c’est les préserver des vents désastreux qui soufflent impitoyablement sous des toits fragiles ; détruire les chaumières, c’est niveler l’apparente infortune avec l’aisance dont s’honore l’industrie.

On vante les conquérants qui ravagent le monde paisible, on ne dit rien de l’homme qui l’a créé et veut le conserver ; on compte pour rien l’Architecte qui peut créer un nouveau monde sous cette voûte immense, où les idées se promènent et se succèdent pour concourir au bien de tous. L’apathie est telle, qu’un grand, que le chef d’une cité nombreuse amasse la multitude pour applaudir à l’appareil pompeux d’un dessert qui répercute, dans des miroirs fidèles, des palais de paille, sucrés, conçus à grands frais par l’art du confiseur. Chacun se le partage. On a plus dépensé en un jour qu’il n’en coûteroit pour effacer la trace du malheur que la foudre indiscrette prépare. Quoi ! faut-il que tout soit excès ? faut-il toujours des palais somptueux ? faut-il que les regards s’appitoient sans cesse sur des mazures ?

Il est temps de mettre la mesure qui convient pour réprimer ces délits politiques. Il n’existe pas un homme sur la terre qui ne soit susceptible d’être secouru par un Architecte ; c’est à lui qu’il appartient de relever les misères. L’homme de génie fera avec le caillou, l’argile, cent demeures qui prêteront aux plaisirs de la variété. Voyez tout ce que vous lui devez ; il amuse vos organes, distrait vos idées, les fixe sur tout ce qui contribue à les embellir. Il préserve l’humanité souffrante des maux qui l’assiègent. Rival du dieu qui créa la masse ronde, il aura plus fait que lui, il l’aura dégrossie ; il aura comblé les montagnes qui effraient la timidité ; il aura creusé les ravins pour faire couler librement les eaux limpides ; il aura embelli les déserts. Élevant l’homme au-dessus de lui-même, il aura répandu les connoissances utiles, il aura puisé dans les trésors de la philosophie, enfouis sous le poids du siècle barbare, la véritable richesse qui fera briller le nôtre, en donnant au genre humain un nouvel éclat. En associant la chaumière au palais, l’ignorance au savoir, que de ressources tu nous prépares !

L’atelier des scieurs de bois est placé au centre de six allées de la forêt ; les bois assemblés offrent le galbe des colonnes ; le toit est couvert en tuiles creuses, et cet abri du travail n’offre rien qui puisse 104 le ravaler. Suivez l’impulsion : indépendamment de la variété que le génie vous suggérera, vous éviterez le feu de paille au centre des bois.

La maison du pauvre

Planche 33

Voyez ces tourbillons qui se replient les uns sur les autres, se condensent et se développent pour assembler la magnificence du ciel avec les bienfaits de la terre. Le spectateur, troublé à la vue de l’immense Océan, dont les ondes flottent sous la ligne brillante qui entoure le soleil, effrayé du présent, sollicite l’avenir ; il interroge le destin, et lui demande quel est donc l’ame invisible qui a créé ces molécules, ces amalgames qui s’arrangent et se meuvent d’eux-mêmes pour nous offrir tant de merveilles, et pour qui ?

Eh ! bien, ce vaste univers qui vous étonne, c’est la maison du pauvre, c’est la maison du riche que l’on a dépouillé ; il a la voûte azurée pour dôme, et communique avec l’assemblée des dieux. Enfant du même père, il est héritier du même patrimoine ; l’Architecte du riche est le sien. C’est un présent commun de la divinité jette sur la terre ; elle ne le retire qu’à ceux qu’elle maudit. Voyez tout ce que la nature a fait pour le pauvre. Les rois, les empereurs, les dieux eux-mêmes ont-ils des palais plus grands ?

Quoi ! l’Architecte de la terre qui l’a si bien traité, n’a donc rien laissé à faire aux Architectes qui lui ont succédé. L’abeille a une maison, la fourmi voûte elle-même sa demeure pour préserver sa tête de l’intempérie des saisons. Un homme jouit en propre d’une rue où la pierre, à grands frais, s’aligne et poursuit l’horizon pour se confondre avec lui dans ses profondeurs. Il élève maisons sur maisons pour défier insolemment la nue tranquille, et resserrer la liberté des poumons d’un peuple déjà trop comprimé. D’autres épuisent les montagnes de granit, et ont à leurs gages des nations d’ouvriers pour bâtir des palais, que la Grèce moderne leur paie en humiliations ; et le pauvre, au dix-huitième siècle, n’a pas de quoi abriter sa tête. Il court les champs, et quand il est bien fatigué, il se repose sur un dé de pierre, à l’abri d’un sicomore et d’un saule pleureur, et les champs, si fertiles pour les autres, sont arides pour lui seul. Ne croiroit-on pas que son existence n’est enchaînée à tous ces prestiges que pour l’envelopper dans les filets d’une dépendance humiliante ? Hélas ! son sort n’est pas si malheureux : dans les temps d’injustice, il n’est pas, comme le riche, obligé, tenu de tout donner, de peur qu’on ne le lui ravisse.

Cependant le pauvre demande une maison. On a donné le terrain au modeste scieur de bois, à l’insolent financier. Sera-t-il le seul qui n’obtienne pas un azyle sur cette terre préférée que la philosophie veut cultiver ? Mais, dira-t-on, le pauvre ne possède rien, ne prétend à rien. Quelle erreur ! De qui parlez-vous ? est-ce du pauvre d’esprit ? Oh ! la marge seroit trop grande. Tout est relatif ; il n’y a pas d’homme qui n’ait quelque chose : s’il n’a pas une grande fortune, si les rigueurs du sort lui ont retiré celle qu’il possédoit, la nature ne lui a pas refusé l’industrie. On est pauvre de ce que l’on n’a pas, si on désire ; on est riche de ce que l’on épargne, si on aime à accumuler ; on est riche de ce que la terre produit : la répartition de ses faveurs est commune à tous ceux qui l’habitent. La mauvaise application que l’on fait des trésors qu’elle renferme, le défaut de génie, peuvent seuls falsifier l’idée que l’on se fait de la pauvreté, ou éloigner les moyens de propager la richesse. En effet, l’industrie n’éveille-t-elle pas les ressources de tous genres ? N’est-ce pas du 105 caillou que l’on extrait le feu qui brille ? n’est-ce pas dans l’activité de ses frottements que la richesse s’accroît ?

C’est donc au génie de régulariser les fortunes ; c’est à lui de relever la pauvreté, et de la faire disparoître par des surfaces qui en imposent : l’art voit tout d’un coup-d’œil égal, il foule à ses pieds la fantaisie des siècles, qui dégénère à mesure qu’on la satisfait ; il retrouve dans le discernement la proportion ; il trouve dans son indépendance de nouveaux produits de l’imagination ; il sollicite de nouvelles jouissances.

L’esprit élevé appartient à tout le monde, puisqu’il constitue l’essence de l’Architecte, qui l’emploie indifféremment dans ses productions. Il ne coûte rien au pauvre, puisqu’il est le résultat de l’inspiration, puisqu’il est étranger à la matière, qu’il est inséparable de la dignité de l’homme, dans quelque position qu’il soit. En effet, si on pouvoit acheter à prix d’or la proportion, le goût qui triomphe de la corruption du temps, les riches pourroient seuls l’obtenir ; mais le goût, dans ses combinaisons avec l’art, ne connoît ni le pauvre ni le riche ; il applanit les irrégularités du sort par des subterfuges officieux qui préparent souvent, qui développent même une idée sublime, et dans sa sagesse, il reçoit le tribut de la reconnoissance publique et du sentiment qui honore une conception exempte de préjugés.

Si les riches et les dieux de la terre ont de fausses jouissances appuyées sur le faux goût, ont-ils plus que les autres celles qui constituent les habitudes de l’homme ? Ces maîtres de la terre dorment-ils d’un sommeil plus doux ? sont-ils exempts des misères qui affligent l’humanité ? Les étoiles couronnent-elles exclusivement leurs têtes ? les fleuves raffraîchissent-ils exclusivement l’air qu’ils respirent ? Les moissons ne produisent-elles que pour eux ? Non, sans doute ; les inquiétudes, portées sur l’aile des plaisirs, s’agitent à raison des moyens que l’on a de les satisfaire ; mais le sage qui se renferme dans l’exact besoin, n’a rien à redouter des écarts qui tourmentent les désirs tumultueux.

L’Architecte qui n’aura bâti que pour les pauvres, aura au moins acquis la sagesse dont la médiocrité se forme un rempart aux yeux du vulgaire crédule, pour préserver son impuissance des atteintes qui compromettent son amour-propre. Quand il aura régularisé l’opinion qu’on peut se faire du besoin, il sera à l’abri des modes et des distances que les hommes légers inventent pour autoriser des manies pompeuses qui retardent, pour des siècles, la pureté du goût.

Ici le pauvre amasse le caillou abandonné ; ses orteils desséchés chancèlent et semblent rouler en douleur le terme fatal qui prépare la fin de ses maux ; le travail ne l’effraie point ; il sait que quand on emploie des matériaux durables, l’argile du temps les cimente pour tous ; il sait (eh ! qui peut mieux le savoir) que la constance assure des profits à ceux qui sollicitent les produits. Déjà les eaux, qui tombent avec fracas du rocher, arrosent le champ qu’il va cultiver ; les syphons asservis travaillent pour leur liberté ; les sables mélangés échappent à la terre qui les retient, épanchent leurs trésors cristallins et se en murmures pour étourdir sa misère ; ils vont égayer sa mélancolie et lui donner de nouvelles forces pour supporter le travail ; il sait que les fleurs qu’il sème parfumeront sa demeure, que les plantes, signalées par le dieu de la santé, maintiendront ses ressorts dans l’équilibre qui les réconforte. En effet, si la fertilité rend la richesse stérile, si l’oisive abondance inquiette, si l’opulence rend l’homme inhumain, qui pourra disconvenir que la pauvreté ne soit la mère de la santé, que la modération ne soit le beaume conservateur des facultés ? Qui pourra disconvenir qu’elle ne préserve de la corruption que les passions développent ? Exempt des maux qui assiègent les hommes coupables, le pauvre va jouir tranquillement de la distribution qu’il a dictée lui-même, et la décoration, offrant des masses simples, n’aura rien à redouter des habitudes du jour.

La décoration n’admettra aucun des ornements que l’on emploie avec profusion dans le palais des Plutus modernes ; les croisées seront petites pour obtenir sans frais la chaleur du printemps, quand les frimats glacés assiègent l’humanité dans ses retraites soumises aux rigueurs des vents discords ; elle aura plus de fraîcheur, quand le soleil d’été sera au sommet de sa course brûlante ; 106 économie nécessaire qu’un grand devroit associer à l’honneur de l’art ; économie politique qu’il ne doit pas dédaigner.

Le plancher peu élevé suffira aux souffles vivifiants, et les airs en foule, ennemis du faux goût qui substitue aux plains solides de vastes miroirs à jour qui les percent de toutes parts, seront amis de la salubrité que les riches font rétrograder de leurs demeures, en calfeutrant les joints qui repousseroient les atteintes de la putridité. Tel est l’abus ; l’air est tellement corrompu, que l’oiseau, dans le vague qu’il parcourt, si on lui donne la liberté, y trouve la mort.

On verra qu’ici le pauvre a ses besoins satisfaits comme le riche ; on verra qu’il n’est pauvre que du superflu ; que l’homme, tel qu’il soit, n’occupe qu’un petit espace ; il a beau être grand, il ne remplit pas à la fois le vuide immense de l’univers. Dans quelque situation qu’il soit, ce n’est pas à lui de rivaliser la nature, c’est à l’art de soumettre ses besoins à ses possibilités ; c’est à l’art de les soumettre à la proportion ; c’est un bienfait qu’il rend commun à tous.