Je m’éveille, comme Épiménide, après un sommeil de douze années. Mes bras fatigués de leurs chaînes, desséchés par la misère, soulèvent la pierre de ma tombe. Ma tête quitte le long deuil des hivers. Mes yeux dessillés sont blessés du nouveau jour : ils ne voyent rien.
Les premiers rayons de l’aurore vacillent sur des monceaux de pierres, souillés par le Vandalisme ; la nature gémit au milieu des décombres politiques.
L’ordre immuable est ébranlé ; les montagnes le disputent à la plaine ; les inondations la submergent : tous les efforts de l’art son impuissants.
[2]L’industrie des nations souffrantes sollicite la reconstruction du monde. Les cendres, naguère recouvertes sous les brasiers de la discorde, se volatilisent ; les tourbillons les portent au-delà des pôles : les esprits s’échauffent.
O flamme inextinguible du génie ! tout se ranime par toi ; tu excites l’utile enthousiasme ; tu règles la raison, la justice ; tu forceras l’abondance jusque dans les retraites de la stérilité ; tu lutteras avec elle contre les marais bourbeux ; tu féconderas les sables arides : les côteaux verdoyants égayeront les regards des saisons : la variété se reproduira sous mille formes, et les obstacles se courberont sous ta puissance.
Déjà tu prépares un siècle brillant : déjà le sang de Périclès bouillonne dans mes veines.
Ici le carreau vengeur éclate : la voûte des cieux se fend ; et je découvre le frontispice du temple de l’Imagination. L’affluence presse ses murs fragiles ; et six rangs de colonnes qui les abritent, les garantissent des efforts téméraires de la multitude.
[3]Le sanctuaire était impénétrable : l’architecte des cieux semblait avoir abandonné le terrain ! Cependant, la nature occupe la première place ; les grands de sa cour, formés par elle, l’approchent avec respect, et se rangent sous ses lois éternelles.
On y voit le dieu des arts : sa tête altière, sa mâle contenance, avait rangé sous ses lois l’humanité que l’on séduit par les formes aimables. La beauté, assise à ses côtés, inspirait l’amour et commandait l’admiration. Ce que les douces haleines de la Température commencent, la Salubrité l’achève. Eh ! pourquoi la température ? — Elle est à la santé ce que l’esprit est à la science.
On y voit la Convenance, l’Ordonnance, le Style, la Bienséance et la Symmétrie, qui ont entre elles des rapports de parité, qui n’excluent pas le pittoresque ;
la Variété, sous tous les aspects dont elle est susceptible ; la Sévérité des principes ; l’Unité des pensées, des lignes ; l’Unité, le principe de tout, l’Unité si désirable, si désirée[1.
Tel était composé le Conseil de la majestueuse Nature, lorsque l’Industrie, appuyée sur la confiance des transactions, sur l’impôt insensible qui fait refluer l’aisance, et rend au solstice d’hiver les sueurs laborieuses de l’été, est admise à ce tribunal auguste : elle y déploie ses vastes rouleaux.
Au sommet de l’air, planant sur un Océan de verdure[1. Entre les plaines d’Arc et Senans], j’assemble les puissances de tous genres. Je vais distribuer la terre : je lui donnerai l’éclat que le soleil, à son apogée, refuse aux contrées obscurcies par les ombres glacées du nord. Je ferai revivre les champs merveilleux de la plus auguste antiquité ; j’y sèmerai les arts, je développerai leurs ressources, pour assurer le bonheur du genre humain.
Je commence. Inspiré par les souvenirs qui rappèlent les idées premières, je trace, j’élève un chemin sur les eaux fougueuses de la Loûe (Pont) : on creuse les fondations ; on approfondit les lits de la plaine : les eaux salées charient l’or à travers les rochers. On en confie le dépôt aux voûtes qui annoncent l’importance de leurs fonctions, et huit colosses en défendent l’entrée.
Je traverse de vaste champs sur un sentier nouveau qui hâte le succès de l’industrie. Au centre terrestre de deux fleuves, abrité par une forêt[2. Forêt de Chaux.] de quarante mille[6] acres, où croissent l’Iris, la Menthe, et les bois parfumés, je sillonne l’enceinte d’une cité fameuse ; je soumets les vents rebelles ; je dirige les villes flottantes ; et la philosophie implantera la morale sur ces terres privilégiées ; son énergie productive les fertilisera.
Déjà l’Usine[1. Arrêté avec toutes ses dépendances, par Louis XV. Ledoux, architecte du Roi, en 1773, a fait graver ses Édifices depuis cette époque.] s’élève, les Cazernes, le Prétoire s’alignent pour occuper les esprits : le palais de Surveillance leur offre des masses reconfortées. Les colonnes de fumée se lient avec le Ciel, et les produits s’accumulent. Envain les terres captives murmurent, indignées du poids qu’on leur impose ; la Germanie et l’Helvétie deviènent nos tributaires ; on s’applaudit des retours fructueux. Le jardin aride de Dole disparaît sous les eaux généreuses qui serpentent dans le vallon. Les manufactures en foule se pressent, vont précipiter dans les pentes rapides, dans les ravins escarpés, la course des syphons paresseux, pour désaltérer les campagnes qui halètent de soif, alimenter les bourgs asservis aux travaux de la simplicité, enrichir les villes qui recèlent le luxe vivifiant de l’occupation. Le Doubs traversera la Meuse, pour forcer le port d’Anvers à confier ses[7] voiles aux vents ; et le flot convulsif ira briser ses efforts industrieux sur les cercles polaires.
Mais, dira-t-on, le luxe détruit le luxe, si l’abondance favorise une branche d’industrie, aux dépens d’une autre. Alors la décadence des états vaudrait mieux que leur naissance. Dans le premier cas, le tronc de l’arbre s’épuise ; dans l’autre, il ne produit rien.
Oui, sans doute ; mais les nations doivent au nations la juste répartition qui laisse couler l’aisance dans les veines laborieuses qui la concentrent et la font fructifier. Voyez l’économe graduation ; quel beau domaine que celui de l’art ! Il multiplie les élans par les besoins qui croissent et se généralisent. Rien n’est perdu : les filtres qui tamisent à travers le rocher la goutte argentine, et franchissent les distances pour élever la richesse qui se confie à l’air accélérant, vont retomber en pluie dorée, et sans frais, dans leur trajet périodique, ils provoquent les solides : déjà les marbres arrivent de toutes parts[1. La pierre que l’on trouve dans le pays est colorée comme les plus beaux marbres.]. L’aquilon qui chagrine la fleur craintive, sert mieux la chose publique que le conseil des sages, ou l’impôt qui pompe le sang des peuples.
Ah si l’on voulait ! mais la puissance de l’homme[8] trop bornée, ne peut atteindre la dernière ligne de la circonférence. Celui dont les moyens égaleraient l’imagination, trouverait le levier avec lequel Archimède voulait soulever la terre, et reconstruirait le monde avec ses scories et ses déperditions. L’intérêt général se compose des intérêts particuliers. Les grands établissements attachent à une terre préférée le travail, père légitime du bien être. La reconnaissance distribue ses motifs, empreint les édifices qu’elle conçoit du caractère qui l’honore ; voulant récolter les fruits que l’activité a fait mûrir, elle fonde les Villes.
Douces illusions, que vous êtes chères à mon cœur ! plaisirs passés, fortune brillante ! rien n’est durable. Vous faites voir souvent le bien où il n’est plus ; mais l’erreur est consolante quand le souvenir offre mille appas, quand le regret comprimé n’a pas perdu l’espoir de se faire écouter par l’humanité qui réclame ses droits. Livré à des conceptions utiles, l’homme est si redevable à l’homme, que le plus grand des ingrats, serait celui qui n’en aurait pas fait. Ce que le temps médite, le temps le porte sur ses ailes, le temps le développe ; je dis plus, il exécute ce qu’il dispose. Il n’est pas sujet à ces accès de fièvre qui consument un sentiment délicieux ; il n’est pas sujet au caprice qui le fait mourir, sans l’espoir de le faire revivre ; il ne meurt jamais.[9] Hélas ! s’il était encore dans son enfance ! on montrerait aujourd’hui à Athènes, les toits de l’Aréopage couverts en terre grasse. O ressource inépuisable de ses vieux ans !
Ici la Ville[1. Ville de Chaux. Le projet de bâtir à Versoie avait été ] s’élève ; c’est le rendez-vous des souhaits. La population sera nombreuse. Déjà les fontaines salubres agitent l’air ; les chevaux altérés du soleil, se fiant à la vitesse des souffles restaurateurs, se précipitent dans des cuves bienfaisantes, qui distribuent à gros bouillons leurs humides présents. Déjà cent-cinquante édifices appèlent la vérité qui se reproduit sur un cercle immense. Les jardins, les champs cultivés, sourient à l’œil, et les vents frais du vallon distribuent les parfums de l’aube-épine et de l’acacia.
Quelle est donc la puissance de l’art, puisqu’il attache au sol invariable, les plaisirs de la variété ? En effet, ces élévations piquantes, ces surfaces soignées, n’ont-elles pas acquis par lui un droit à l’immortalité ? Qui peut le contester ? Jugez de sa puissance encore, puisqu’il soumet à son empire le Pauvre, le Riche, le Souverain, qui tous ont besoin de lui. Cachez-vous, Athées ; taisez-vous, Impies ; je vais parler de Dieu.
Omnes nationes consentiunt Deum esse.
[10]Dieu est à la morale, ce qu’est à la terre l’axe qui la soutient. Son Temple, frein nécessaire des passions nuisibles, se place de lui-même au centre des rayons. La joie du monde qui se mêle aux chants mélodieux de sa gloire, séparera le culte ostensible du jour, des cérémonies lugubres de la nuit. Tel Esdras à la tête du peuple d'Israël, offrant à l'imagination le sentiment qu'il a dans le coeur, dresse ses autels, rassemble les fleurs et les holocaustes, dont la fumée s'élève et se confond avec les nuages pour envelopper d'utiles mystères.
Dieu fit la lumière; l'art à son exemple la centralise. Qu'il est beau de construire des Temples qu'il faudrait inventer, si la nature avant tout ne les avait fondés! La philosophie patriarchale n'oublie rien. Elle préconise les vertus des morts, pour fortifier l'énergie des vivants. Elle éloigne la contagion qui dissout l'ordre social, et fait descendre du haut des cieux la religion, pour propager les vérités sur la terre. Qui peut ignorer que l'homme conduit par elle, n'a rien à craindre de ses écart? Elle traite également l'ouvrier qui compte les heures du jour, l'employé qui paye d'avance en assiduités, la récompense qu'on lui promet, le Grand qui étale somptueusement sa biensafisance. Elle apprend à l'homme à se supporter. En effet, le scieur de bois, le charbonnier[11], n’ont-ils pas besoin des fourneaux ardents du Palais ? le garde des forêts n’a-t-il pas besoin du Château, du fastueux retour de chasse ? Pourquoi déclarer la guerre à ses amis ? Pourquoi la force du levier arbitraire soulève-t-elle à-la-fois et la religion et l’hérésie ? Pourquoi celui qui possède traiterait-il de puissance à puissance avec celui qui ravit ? Il restituera ; gardez-vous d’en douter. Si la mort n’emporte pas les trésors, elle emporte les scrupules religieux.
Souverain arbitre des esprits et des corps quand tu créas le monde matériel, tu savais bien que l’assomption des souffles divins que tu lui communiquais, ne pouvaient se rattacher à ton essence, qu’autant qu’ils seraient purs.
L’ouvrier destiné à façonner le cercle, à courber le bois des forêts, offira aux grands de la terre une idée monumentale, et leur apprendra que rien n’est à négliger pour les hautes conceptions ; l’attelier du monde n’est-il pas inscrit dans un cercle ?
Un traitant, nouveau né de Plutus, isole ses ennuis au milieu de vingt hôtes qui les accumulent dans un édifice qu’il construit ; il aime les chiens, les chevaux, en parle fatigue ceux qui l’écoutent, craint les regards du monde ; le monde le supporte. Sa femme, bien née, plaît et possède[12] au premier degré les vertus attractives : de là, nouveau système d’habitation.
La disparité des inclinations, aussi variée que celle des visages, est à l’inconstance des goûts, ce que les muscles sont à la structure humaine. Le plus, le moins, offre à l’imagination des jouissances inattendues. La sensibilité remuera les facultés de l’ame, à l’aspect d’un marché public. On verra ce que peut la Bienfaisance lactère, et combien elle est expansive, par la fréquence du peuple qui compâtit au malheur qu’il éprouve lui-même.
Si les lois de Confucius sont pratiquées par les sages, des Cénobies construites au centre des bois tranquilles, attireront l’homme de la nature, qui ne prévoit ni les torts, ni l’injustice : fatigué du bien-être, il éprouvera que le mieux est l’ennemi du bien.
Les demeures bienfaisantes de l’Union, de l’Hospitalité, porteront leurs épargnes
aux indigents ; car un centre d’humiliations répugne à la dignité d’un peuple philosophe.
N’est-ce pas ajouter à ses biens, que de soulager les maux des autres ? On verra l’asyle
honoré de Thémis s’entourer de respects, et fermer ses avenues ténébreuses à ceux qui seraient tentés
de compromettre sa pureté. Le calendrier des honnêtes-gens apprendra aux hommes à
connaître leurs devoirs, avant d’user de leurs droits. La maison d’éducation offrira
de vastes portiques, pour in[13]voquer les vents balsamiques, et surveiller les mœurs. La solde du vice est le malheur.
Si les plaisirs se glissent dans les veines de l’âge inexpérimenté ; si le sang altéré
d’amour s’enivre de corruption, l’
Quelle fatalité! les sots sont inflexibles; on les égare, mais on ne les désabuse pas. Celui qui n'est soumis qu'aux rigueurs du destin, ou à l'injustice des dieux du caprice, méprise les outrages de la politique. Les graces que celle-ci dispense à ses élus, peuvent bien régler les rangs dans le monde futile; mais le sage qui assemble les siècles, et les convoque pour être jugé d'après la défaveur des temps, placez-le donc au-dessus de la foudre.
Sur la même ligne, on trouvera des maisons de commerce, de négociants, d'associés, des portiques multipliés [14] pour recevoir la foule, et préserver la curiosité pentelante des écarts imprévus du verseau. On y verra les caisses publiques où l'on assure les valeurs, les caissiers qui les neutralisent.
Il en est de la terre comme de toutes les jouissances actives: celui qui les fait naître, les fait mourir, les fait revivre. Il fertilise les antres abandonnés; et son oeil pénétrant creuse les profondeurs, y découvre les trésors qui sollicitent l'industrieux travail de Birmingham, l'horlogerie de Genève, l'emploi des fers de Montbar, et les cuivres de Kremnitz
Déjà l'enclume gémit sous le marteau pesant; les bronzes sortent des gouffres du Tartare; Vulcain épuise l'ame de ses soufflets; les fleuves de feu inondent les tubes recreusés, et les remplissent d'une projection expansive: la forge à canon nous apprendra que l'Ultima ratio n'est pas toujours la meilleure; elle nous apprendra que les triomphes de Bellone s'associent à tous les maux de la vie. Les lycées d'instruction offriront des plaisirs durables à ceux qui dissipent leurs fortunes dans les jeux inextricables du hasard. En retraçant les vices des cités perverties, on leur offrira des monuments de récréation pour épurer les moeurs, les surveiller, et contenir les écarts qu'elles désapprouvent. On cherche au loin le remède aux maux qui nous accablent. Des bains salés offrent ici la guérison des bles-[15]sures, des maladies cutanées, et le soulagement des maux de nerfs. Fuat-il toujours briguer les faveurs de l'Océan, de la Méditerranée? quand les administrateurs doivent veiller aux produits du trésor, et faire l'appel aux nations voisines pour raviver la circulation dans nos murs.
Qaund la précaution garantit l'humanité des maux qui la poursuivent, pourquoi la néglier? Ici, la bienfaisance médite, et fait rentrer dans les rangs l'homme qui s'en est écarté: elle assure ses destinées, redresse le vice, élève un Hospice épuratoire, où le scrupule sépare les bons des méchants.
L'hôtellerie offrira le simple coucher de l'observateur qui conçoit par elle l'idée d'un grand établissement. Ne croirait-on pas que l'art se soit endormi depuis deux mille ans? La loi naturelle qui conduit l'homme par-tout, ne se trouve nulle part: l'espèce humaine est magiquement suspendue dans nos théâtres. Quelle bizarrerie! quel oubli des principes! La salubrité, les moeurs, l'effet général réclament contre les abus: l'homme s'isole; la fortune du jour sépare les rangs, je dis plus, elle les efface. Quand la progression offre des rayons égaux, les places ne sont-elles pas toutes bonnes? Les Cimetières reprocheront au temps les pertes qu'il a faites. La science éplorée lui rappèlera les fausses illusions qui se dissipent dans le tour-[16]billon de la vie. Ce que l'on voit à Palmire, atteste la grandeur de Zénobie; ce que l'on voit en Égypte, condemane la vaine sotentation des Pharaons. Le siècle de Périclès transmet aux descendants, des temples fastueux; des péristiles, qui ont épuisé le luxe architectural. pour rougir les marbres du sang des victimes. Il nous retrace les progrès de la philosophie contemplative.
Ces palais qui se reproduisent dans les eaux limpides de la Brenta; ces palais respectés par les saisons irritées; ces masses corrigées par le scrupule impassible du savoir; ces détails échappés au déluge barbare, ressuscités pour l'instruction des âges heureux; qu'ont-ils produit pour la classe nombreuse? Rien. Il faut donc animer les souffles bienfaiteurs de l'art; il verra le bien possible par-tout où il n'est pas: car tout est égal à ses yeux; tout est pensé, tout est motivé. Ce qui est mauvais tombe de soi-même: qui est bon brave la critique. On sait qu'il n'y a pas de dispute où il n'y a pas de bien à contester; car personne n'a la folle manie d'augmenter le poids de ses peines, en s'appuyant volontairement sur des bases mobiles. Les exemples, les modèles, persuadent la multitude, plus que les sentences de Socrate et de Salomon, plus que les projets; délires avortés! Ce que ces derniers ont essayé, l'art, dans ses combinaisons exécutives, l'a exposé au grand jour, et l'a cimenté. Ce qu'ils ont dit, je l'ai fait.
[17]L'homme qui se traîne sur la trace des autres, se croit déjà un érudit: quand il cite ses auteurs, ses voyages ultramontains, il vit d'emprunts. Celui qui est plein du sentiment de ses forces, n'emprunte de personne, s'il a pour principe les lois de la nature. A-t-il besoin d'auxiliaires? a-t-il besoin de citer des autorités de convention, quand il provoque des effets qu'il puise chez elle? On n'exigera pas de celui qui a creusé la terre, pour fonder les délices du monde, de lui qui a exalté ses pensées pour ennoblir ses motifs, ce que l'on exige du poète qui passe sa vie à mesurer les mots.
L'art écrit comme il fait; éloigné de toutes manières, il veut être lui; son enthouisasme se reproduit dans tout ce qu'il touche. En effet, si le métier d'écrire est exclusif, l'art d'exprimer ce que l'on sent n'appartient-il pas à tout le monde? Les idées ont engendré les mots: les meilleurs enfants naissent des pères les mieux constitués: la raison parvenue à son point les approuve.
Mais, dira-t-on, le code littéraire n'emploie, n'admet que les enfants légitimes? mais les naturels! ne sont-ils pas avoués par le code des nations, par la nature elle-même?
O divin génie! toi aui appauvris la langue du poète de Mantoue pour enrichir la nôtre, ta couleur est pure; elle n'est pas chargée des mélanges qui détruisent les[18] teintes avec les temps; associe-moi à ton langage séducteur pour intéresser. J'invoquerai la science de Columelle pour chanter les habitations champêtres.
Ce qu'un premier volume ne pourra faire, on le trouvera dans ceux qui suivent; le même esprit les a dictés
Offrira le tableau des grandeurs humaines, le rassemblement des manies destructives qui éloigent la progression des arts; des hôtels magnifiques, des maisons de ville, de campagne des prétoires, des arcs de triomphe, des restaurations de palais, des palais des places, des bibliothèques publiques. On y verra combien les faiblesses des uns, les complaisances coupables des autres, ont retardé les connaissances de tous. On y verra des chateaux; ou des châteaux: ils distribuent l'aisance à demeures fixes. On y verra des bergeries productives, des fermes parées: le même toît abritera celui qui recueille et celui qui cultive. On verra des maison d'échange qui féconderont les trésors de la confiance; les palais des ministres du ciel, qui provoquent les respects que l'on doit aux autels; des greniers de prévaution, des maisons de spéculation. Des temples découverts, [19] des villages offriront, comme les villes, les charme de la variété. l'asyle des talents, l'asyle de therpsicore parut, il y a trente ans, une hérésie, qui fronda les préjugés ignorants; il attestera la progression du principe qui les honore.
Parcourez ces vastes forêts, qui entourent les palais des souverains de l'Asie, vous y verrez la chaste Diane fonder des maisons de plaisir.
Après avoir discuté l'origine des arts, leurs progrès, leur décadence; après avoir indiqué les moyens de mettre à profit les erreurs, en appliquant à nos usages les vérités constatées par le temps, on offrira des maisons de ville, de campagne, variées à l'infini; des pavvilons vélèbres, des palais de ville, palais de plaisance, élevés sur le plus haut brillant théâtre du monde. On y verra la beauté assise au centre des roayons répandre ses bienfaits sur l'industrie reconnaissante. On y verra des communs somptueux, précéder les vastes avenues du sanctuaire révéré par ceux qui chérissent le pouvoir qui se fait aimer. Par-tout on y verra l'art vaincqueur des préjugés du temps, lutter avec la souveraineté pour commander le bien, et se lier avec elle pour l'exécuter.
[20]On trouvera des caisses générales où la fortune publique fixe les grandes recettes, et entretient l'activité; des usines productives confiées au savoir-faire, ennemie délcaré du savoir-prendre. Les théâtres appèleront le plaisir, et s'entoureront des maisons de commerce, pour asseoir ftructueusement l'impôt qu'on lui paye volontiers.
Des maisons de ville, de campagne; des réunions de frères; des réunions d'amis; des bains plubics, variés dans leurs plans, dans leur élévation; des comices ruraux; des palais somptueux, fondés sur la Justice; des lieux de sécurité commune; des maisons de vente, des casins spacieux où l'industrie étale son luxe; des voutes immenses, destinées à préserver des froides intempéries de l'équinoxe, les coursiers écumants de chaleur, que la barbarie attèle à un char brillant, pour attendre le frisson, et la fantaisie des heures qu'on oublie dans un délire amoureux.
Ici le rideau des préventions se lève, l'opéra précédé des jeux, des ris, des grâces, des muses, de l'harmonie, paraît dans sa magnificence; la sollicitude publique s'éveille, elle a tout à désirer.
[21]Quoi! un monument qui contribue à la splendeur d'une nation? un monument qui réunit les efforts des premiers talents en tous genres? quoi! un corps politique qui donne la vie à tant d'autres ne peut s'alimenter lui-même? telle est la force d'inertie.
La postérité qui dévoile lesm ystères et les conflits ministériels, mettra à sa place l'homme d'état qui a conçu cent monuments, et les a fait exécuter [b. M. de Calonne, mai des arts. - Nota. Périclès ordonna les propylées d'Athènes. Il fut exilé, revient, et les fit terminer.] Le temps a déjà flétri celui qui les a mutilés. (On sait qu'il n'y a point déconomie à détruire.) Une fois la vengeance des dieux fut rapide: le Vandale s'empoisonna lui-même. Quand on n'a pas le sentiment des arts, on charge les peuples du poids de son ignorance: un pigmée placé au sommet de l'échelle, n'en est pas moins pigmée, et tout le reste colossal autour de lui.
Quoi! des marais desséchés de la Chine[c. Les nouveaux boulevards.] transportée [22] en France, les mines du Potôse ouvertes aux portes de Paris, des péristiles somptueux remplaçant des auvents mesquins, tout cela ne peut trouver grâce auprès de cette ombre haineuse... ah! n'éveillons pas le vengeances! la raison est déjà un tort que les puissances arbitraires ne pardonnent pas.
Le motif de cette grande conception est si honorable, qu'on jour on regrettera d'avoir contraint une nation généreuse à se soustraire à l'éclat qui fait briller les siècles avides de gloire. Au surplus, l'art ne pardonne pas les outrages qui pèsent sur lui; et le temps qui détruit tout, scelle en bronze la barbarie des états. Les nations impartiales respectent l'homme utile dans ses occupations; ceux qui se livrent aux grands travaux; les nations les réclament; je dis plus, l'intérêt public les exige.
Honte éternelle et malédiction sur la tête des gouvernements qui étouffent les lumières et condamnent le génie à l'inaction. Les convulsions politiques placent et déplacent les hommes, comme le vent du midi bouleverse les sables de la Lybie. L'honneur venge les victimes immolées aux intérêts qui se croisen, et assure, en valeur consentie, ce que les premières font payer en humiliations. L'honnête homme regarde le bien en face; il ne voit pas les précipices qui menacent ses côtés; et [23] pou lui la place d'honneur, c'est l'honneur qui la donne.
L'immortalité répond à toutes les objections; elle est le noeud du monde physique, civil et moral; elle justifie le providence des maux qu'elle permet, et flétrit d'avance les abus du pouvoir. Tout n'est donc pas perdu! le ciel veille, et les vertus opprimées se relèveront de leur chûte; ne seront-elles pas plus glorieuses, quand elles n'auront plus à craindre les coups du hasard? Un changement de vent fait perdre une bataille ou la fait gagner; un changement de vent renverse un empire ou le relève. Mais si la froide raison maîtrise les passions, si Dinocrates obtint la faveur du conquérant de l'Asie, en proposant une ville inéxécutable sur le mont Athos; celui qui aura passé tant de nuits pour doubler les heures du jour, et étendre les progrès des connaissances; celui qui aura parcouru tous les rangs pour améliorer le sort de l'homme; celui qui aura fait plier la haute architecture devant les états que l'on néglige, que l'on dédaigne; celui dont tant d'édifices utiles servent à l'exploitation des sels productifs, et de l'impôt d'un grand pays; celui qui corrigea les vices des grandes cités, salubrifia les villages; celui qui anima les surfaces pierreuses, pour accroître les puissances de l'ame; si celui-là, enfin, [24] n'obtient pas, de son vivant, la récompense du bienfait, il est sûr de la trouver dans les suffrages de la postérité.
Eh! pourquoi aller chercher si loin? quand chaque aurore elle-même est un bienfait dont l'habitude affaiblit en nous l'impression.
Montesquieu fait un code de lois pour les nations. Pour la première fois, l'art assemble les lois naturelles, et compose un systême social: il commande le bien-$etre dans toutes les situations, dans toutes les jouissances usuelles; il lie ses pouvoirs séducteurs aux droits innés de l'homme, l'industrie au luxe obligé qui développe les ressources des états; prenant toutes les formes pour donner toutes les imupulsions, il force le riche d'accorder au pauvre le tribut honorable que l'on doit au travail. L'art enfin, qui aura assorti toutes les nuances de la vie, avec la dignité qui fait disparaître les fortunes inégales, après avoir créé le bonheur, le forcera dans ses retraites. (Car toutes les valeurs s'appauvrissent dans l'oisiveté qui s'isole du bien public; je dis plus, elles se paralysent.)
Tel est l'effet des imaginations transportées au-delà des monts où règne mollement l'apathie qui asservit les élans; on se fraye un chemin à travers les obstacles; et [235]le sage peut humilier enfin l'opinion qui le méconnut pendant les premières années de sa vie.
Après avoir assemblé tous les genres d'édifices employés dans l'ordre social, pour composer un ensemble qui se prête à la varité de tous les motifs qui l'ont dicté, le dernier feuillet de l'ouvrage offrira quatre cents aspects. J'exécuterai dans une seconde ville, ce que j'ai conçu dans la première: on y verra le luxe des idées se reproduire sur le volume antique de la nature; et si mes entraves se brisent un jour, on y verra de nouvelles conceptions profondément mûries par le soleil d'été.
Quand on a médité; quand le feu du génie, long-temps recouvert de ses cendres, vient à se rallumer, l'explosion, pour avoir été comprimée, n'en est que plus éclatante.
La terre prodigue ses trésors à ceux qui lui confient quelque semence. Les fleuves rapportent à grands flots dans la mer les eaux qu'ils ont reçues en vapeurs légères. Aussi, les hommes bien nés ne se laissent-ils jamais vaincre en générosité! Et si la reconnaissance n'est pas l'ouvrage de l'art, elle est la preuve de la noblesse, de l'élévation des idées qu'il suggère; elle est la preuve du sentiment délicat qui en est inséparable, c'est un besoin du coeur, comme celui d'aimer.
[26]Je ferai adorer le créateur par la créature; je chanterai la monarchie universelle, cette souveraine du monde à qui je dois l'existence et le bonheur.
Émanations célestes! que j'aime à vous offrir l'hommage de ma gratitude. On oublie ce qui fatigue l'ame; mais que l'on se plaît à retracer tout ce qui l'élève! Les caresses reçues dans mon enfance, mes premiers crayons affilés par vous, vos premières impressions, vos préceptes, mes heureux élans, mes succès, le prix qui les couronna, rien de tout cela ne peut s'oublier. Comment acquiter tant de dettes? Cette ame brûlante qui m'enflamma au milieu des glaces de la vie, c'est à vous que je la dois; c'est à l'inspiration de vos vertus que je dois celles qui me caractérisent.
Dans le plus beau lieu de ma ville, j'élèverai un temple de mémoire: je l'entourerai de respects; il n'aura rien à craindre de la contrariété des éléments qui voudraient en vain le dégrader. Les passions utiles, les passions vertueuses, surveilleront l'intérieur; et vos debors enchanteurs qui cachent les cieux, enivreront mes sens d'un torrent de délices. Quand la parque, moins cruelle que le temps, aura coupé le fil de ces douces illusions, je solliciterai, pour grace dernière, une place au milieu de vous. Je lèguerai ce que le remords de la [27] tyrannie m'a laissé, pour épuiser les parfums de l'Arabie, et entretenir sur vos autels les vapeurs actives qui lieront le sentiment que je vous dois, avec le ciel qui en est témoin.
Qu'il est beau le moment où l'homme affranchi de la servitude des corps, s'élance dans l'éternité pour entrer dans les profondeurs! pourquoi veut-on toujours l'éloigner?
Vous, ministres du ciel, ministres de la terre, haute magistrature! Vous, souverains, rois, empereurs, grands, riches, classe laborieuse, artistes-coopérateurs! Après avoir servi utilement les goûts divers, je me proterne devant les trophées de votre gloire. Ces monuments attesteront de la vôtre, je vous dois la mienne.
L'ouvrage est fait, et gravé par les meilleurs artistes. La typographie, Caractères didot, sera de la plus grande recherche, et confiée aux presses de C. F. PATRIS.
Le premier volume, contenant cent dix-huit planches, y compris quarante Vues Perspectives, trois cents Motifs, paraîtra au commencement de l'année 1803. Broché, prix, douze louis. En papier vélin, avant la lettre, vingt-quatre louis.
On ne paiera qu'en recevant l'ouvrage, qui sera ditribué dans l'ordre de l'inscription. On tirera à petit nombre.
[238]Cent exemplaires de l'ouvrage sont destinés à ceux qui cultivent les Arts. Ils pourront les prendre, à l'adresse ci-dessous, par livraisons particelles, dont le prix sera de vingt-quatre livres. Le texte leur sera délivré avec la dernière livraison.
S'adresser, pour les souscriptions différentes, à M. Heü, maison de l'Auteur, rue Neuve d'Orléans, n°. 227, à Paris. On affranchira le port.