L’architecture
considérée
sous le rapport de l’art,
des mœurs
et de la législation ;
par C. N. Ledoux
Exegi monumentum....
Tome Premierde l’imprimerie de H. L. Peronneauà Parischez l’auteur, rue neuve d’OrléansM.D.CCCIVÀ Sa Majesté
L’Empereur
de toutes les Russies.
Les Scytes attaqués par Alexandre de Macédoine, jusques au milieu des déserts et des rochers qu’ils habitaient, dirent à ce conquérant : Tu n’es donc pas un dieu, puisque tu fais du mal aux hommes !
Tous les peuples de la terre diront à l’Alexandre du Nord : Vous êtes un homme ! puisque vous voulez bien accueillir un systême social, qui contribuera au bonheur du genre humain.
J’ai l’honneur d’être, avec la reconnaissance la plus respectueuse,
de Votre Majesté Impériale,
Le très-humbe & très
obéissant Serviteur,
Introduction
Omnia vincit amor
C’est ce sentiment qui m’a inspiré et m’a soutenu dans ce long travail.
Dans la foule des occupations dont on peut juger par l’immensité du travail que je mets sous les yeux des Nations ; au milieu des agitations dont on a fatigué ma constance ; au sein des persécutions inséparables de la publicité des grandes conceptions, et des passions qui se sont usées contre mon énergie ; assujetti presque toujours à des calculs rétrécis, à des fortunes craintives, à des volontés versatiles qui neutralisent les élans du génie, je n’offrirai point à mes lecteurs de ces projets qui se perdent dans le vague des combinaisons imaginaires, ou dont l’effrayante possibilité anéantit d’avance l’exécution.
Persuadé qu’en abrégeant les annales du temps, et en réunissant les modèles et les principes que l’art y a déposés, je peux lui imprimer à lui-même un mouvement créateur qui lui fasse enfanter des chefs-d’œuvres, et agrandir son domaine et sa gloire, j’ai rassemblé, dans une lecture de quelques jours, toutes les richesses des siècles qui nous ont précédés.
Avant que la nuit ne couvre de son voile obscur le vaste champ où j’ai placé tous les genres d’édifices que réclame l’ordre social, on verra des usines importantes, filles et mères de l’industrie, donner naissance à des réunions populeuses. Une ville s’élèvera pour les enceindre et les couronner. Le luxe vivifiant, ami nourricier des arts, y montrera tous les monuments que l’opulence aura fait éclore.
Ses environs seront embellis d’habitations consacrées au repos, aux plaisirs, et plantés de jardins rivaux du fameux Eden.
Asyles du laborieux artisan, les villages et les bourgs ajouteront à la beauté du coup d’œil par le contraste de leur simplicité. La maison du pauvre, par son extérieur modeste, rehaussera la splendeur de l’hôtel du riche, et de ces palais où sous les lames dorées qui les couvrent, les grands semblent rivaliser d’éclat avec l’astre du jour.
Dieu ! qui créas les mondes, tu vois avec complaisance s’embellir une partie de celui que tu nous a cédé. Ton temple domine sur tous les édifices, comme2 notre amour pour toi doit dominer sur tous les sentiments. L’homme naissant t’y est présenté ; les grands actes de sa vie y reçoivent ta sanction, et sa dépouille mortelle y vient solliciter ton regard, avant de s’enfoncer dans la tombe.
La morale qui est la religion active, la philosophie qui est la sœur de la religion, ont aussi leurs sanctuaires. Les peuples du Thibet et les enfants de Confucius y retrouvent le temple de la loi que dans leurs cœurs a gravé le doigt de la nature. Où le vice ne règne pas, la vertu peu se passer d’autel. Rien de ce qui peut propager les bonnes mœurs, corriger les mauvaises, en punir et sur-tout en prévenir les effets, n’est négligé.
L’exemple est la plus puissante des leçons. Un bâtiment majestueux est consacré à la sagesse ; des portiques multipliés l’entourent ; l’enfance y joue à couvert ; la jeunesse les parcourt ; la vieillesse y médite. Une école y est ouverte, où l’on apprend à l’homme ses devoirs, avant de l’instruire de ses droits. Là on lui fait voir que toutes les vertus tirent leur origine les unes des autres ; que les Platon, les Socrate, les Saint-Augustin, ont tous travaillé au même édifice et marché vers le même but. Les tables de Solon, de Niger, les capitulaires de Charlemagne, s’y trouvent placés sous les yeux comme le calendrier de l’honnête homme.
La beauté qui n’est que la proportion, a un empire sur les humains dont ils ne peuvent se défendre ; des figures d’une correction pure et flatteuse, ornent l’enceinte du monument ; elles personnifient les principes, et par la seule influence de leurs charmes, elles en accélèrent le développement et en propagent les effets. Oh ! que de chefs-d’œuvre les Goths eussent laissés à la postérité, si les Phidias du temps avoient épuré leur style !
Vu de près, le vice n’influe pas moins puissamment sur l’ame ; par l’horreur qu’il lui imprime, il la fait réagir vers la vertu. L’ Oïkema présente à la bouillante et volage jeunesse qu’il attire la dépravation dans sa nudité, et le sentiment de la dégradation de l’homme ranimant la vertu qui sommeille, conduit l’homme à l’autel de l’Hymen vertueux qui l’embrasse et le couronne.
L’Atelier de corruption, sous ses antres obscurs et profonds, lui découvre les sources empoisonnées qui altèrent la vigueur de la morale, minent les trônes, renversent les empires, et il ne le rend au jour qu’avec la haine de tout ce qui peut corrompre les mœurs.
3On peut être vertueux ou vicieux, comme le caillou rude ou poli, par le frottement de ce qui nous entoure ; le bonheur et le bien-être peuvent donc se trouver dans le sentiment attractif des jouissances communes, et de là ces cénobies construites à l’ombre des bois tranquilles, où des sages, vivant réunis sous les lois simples de la nature, cherchent à réaliser la désirable félicité des temps fabuleux de l’âge d’or. De là ces maisons destinées à plusieurs familles.
Tout s’anime par la concorde. Des deux premiers frères que nous présente l’histoire du monde, l’un fut homicide et mourut de repentir. Combien il seroit consolant de prévenir le crime et les remords ! Que d’avantages résulteroient pour la société des tendres affections que consolident les nœuds du sang ! Quand on est nourri dans le même berceau, tout, jusqu’au tombeau, doit unir. Les habitudes, les plaisirs, les pensées doivent être les mêmes et se confondre. L’or s’épure par le feu, l’amitié par l’or. En unissant et identifiant les intérêts, on les prolonge ; en les prolongeant, on double l’existence, on prévient les divisions, on oppose à leur naissance une liaison dont l’idée seule porte à l’ame un baume consolateur. Si la société est fondée sur un besoin mutuel qui commande une affection réciproque, pourquoi ne réuniroit-on pas, dans des maisons particulières, cette analogie de sentiments et de goûts qui honorent l’homme ? Aussi verra-t-on que ma cité possède des Maisons de frères. Le caractère des monuments, comme leur nature, sert à la propagation et à l’épuration des mœurs. Là sont élevés des théâtres sous la forme progressive qui nivêle l’humanité ; ici des arcs de triomphe qui la déifient ; plus loin des cimetières où elle va s’engloutir.
Les lois viennent au secours des mœurs. Le temple éclairé de la justice forme une opposition salutaire avec les lieux sombres destinés au crime, et qui jamais ne doivent recéler l’innocence.
Du Prétoire coule la source féconde et bienfaisante de la sécurité publique. Au Pacifère se concilient les intérêts des familles, et se préviennent ou se terminent leurs divisions. On y donne un frein à l’immoralité, et des chaînes aux passions des cités perverties.
Tous les arts, toutes les conditions trouvent des demeures qui leur sont propres. On y voit l’atelier où le machiniste moins fort, mais plus adroit qu’Atlas, comme lui peut soulever le monde.
4Au sein des forêts d’une immense étendue, se font remarquer le Toit sacré de leur conservateur qui, nouveau Sylvain, les surveille et les protège ; la Retraite pyramidale du bûcheron qui, parmi les géants qui les peuplent, frappe au signal du maître, et fait tomber sous son utile coignée ceux de ces enfants de la terre, que leur taille élevée rend plus propres à conduire nos flottes à la fortune et à la victoire, et ceux dont les bras sont destinés à entretenir les foyers du frileux citadin, et le corps à nourrir les poëles affamés des usines ; la Coupole domestique du charbonnier qui prépare l’aliment nécessaire aux fourneaux des chimistes, et, dans les précautions que ses travaux exigent, trace des leçons contre l’asphyxie ; enfin, les galeries compartimentées où, près de sa demeure, le charpentier façonne, appareille, nivèle ses bois, et par leur atténuation sage et combinée, va doubler, dans les longs bâtiments de graduation qu’ils doivent soutenir, le souffle propice et officieux des vents.
Dans les campagnes, l’Agriculture et tous les dieux champêtres ont des temples. Leurs noms inscrits sur les autels indiquent leurs droits à notre amour. À ce culte si naturel s’associent les parcs, quelque fiers qu’ils soient du voisinage des châteaux. De tous côtés sont des bâtiments économiques, des granges, des fermes parées, des bergeries productives, monuments trop dédaignés. Bacchus et Cérès voient leurs dons recueillis avec reconnoissance par les mains laborieuses de leurs ministres qui, puissants par l’exemple, en laissant tomber quelques épis de leurs riches moissons, apprennent à l’indigence que la richesse suit le travail comme elle fuit l’oisiveté.
Sous la protection de Pan, et plus encore sous celle de l’innocence, le monarque berger, au milieu de ses sujets, goûte avec sûreté le sommeil paisible qui s’éloigne si souvent du séjour inquiet des grands.
Chantre des dieux, des rois et des bergers, chantre de la nature, le poète dans sa demeure inspiratrice, voit accourir aux ordres du génie la troupe docile des sensations ; elles le placent sur le trépied d’Apollon, et dans ses transports extatiques il embouche à son gré la trompette d’Homère, le flageolet de Théocrite, ou fait résonner la lyre de Pindare ou le luth d’Anacréon.
Le commerce est un de ces canaux précieux qui répandent l’abondance ; il doit être secondé.
5Des marchés publics appellent les productions variées, fruit du sol fécond et de l’industrie créatrice des nations ; cent voûtes les y protègent contre les intempéries destructives ; et des fleuves, par leurs courses combinées, facilitent les plus riches échanges.
De vastes magasins, sous leurs amples péristyles, recèlent les trésors de tous les climats, recueillis par le négociant habile, pour être distribués aux classes laborieuses.
Un caractère simple et grand fait reconnoître les caisses financières gardées par le respect public, nourries par le bien même qu’elles font refluer sur tous les membres de la société.
Chacun juge suivant ses penchants. Heureux l’homme dont les passions sont en harmonie au milieu d’un monde discord ! Le voluptueux, au sein de la mollesse laisse échapper pour de brillantes jouissances la fortune acquise par ses pères. Le paresseux offre la sienne comme excuse de son inutilité. Le pauvre, en convoitant leur or, en critique l’emploi, gémit sur sa détresse et reproche à Plutus ses aveugles faveurs et l’injuste répartition de ses bienfaits.
Faut-il que tout soit misère ou magnificence ? Faut-il anéantir la splendeur d’où la société tire son aisance ? Eh ! qu’importe de quelle manière le prodigue dépense, s’il s’acquitte envers le pauvre qui reçoit le prix de ses sueurs. Qu’importe comment le pauvre emploie ce tribut du riche. Si l’art ne peut offrir aux uns qu’une habitation modeste, il la prémunira par le secours officieux de l’argile durcie, contre les caprices incendiaires de la foudre qui consume les chaumes voisins ; il la distinguera par ce goût qui plaît même dans les villes, quand il assujettit les plus simples fabriques à la pureté des lignes.
Mais il créera pour les autres des châteaux dominateurs, des communs populeux, des écuries fastueuses, vanités utiles ; il fera pour eux sortir du sein de la terre, comme autant de prodiges de la féerie, ces maisons de plaisance, séjours de délices, asyles des jeux, rendez-vous des Grâces, et quelquefois des Muses. Il donnera à des entrées de parcs le caractère merveilleux de l’antique chevalerie. Les retours de chasse des Potentats de la terre, célébrés par les cent bouches de la Renommée, appelleront chez nous les nations désireuses de nos arts. L’hotellerie leur offrira ses commodes6 ressources et ses doux loisirs. L’hospice toujours ouvert au voyageur, par ses utiles épurations, ne permettra l’entrée des frontières qu’à l’homme digne d’y pénétrer. L’intérieur des cités offrira les bains qui fortifient le corps ; le trésor provocateur des désirs brûlants qui l’attèrent ; les bibliothèques où se nourrit l’esprit ; le fisc où il se dessèche ; la maison d’étude où se dispensent les lumières, celle de jeu où elles s’éteignent ; les demeures vastes et somptueuses des gouverneurs, vuides de contentement et pleines d’amertumes ; l’étroite habitation de l’employé circonscrit au nécessaire ; les murs du traitant chargés des dépouilles de cent familles.
Peuple ! unité si respectable par l’importance de chaque partie qui le compose, tu ne seras pas oublié dans les constructions de l’art : à de justes distances des villes s’élèveront pour toi des monuments rivaux des palais des modérateurs du monde ; des maisons de réunion et de plaisirs. Là tu pourras, par des jeux qui te seront préparés, dans des fêtes dont tu seras l’objet, effacer le souvenir de tes peines, boire l’oubli de tes fatigues, et, dans un délassement réparateur, tu puiseras des forces nouvelles et le courage nécessaire à tes travaux.
C’est par le tableau de ces compositions aussi variées que nombreuses, toutes marquées au caractère qui leur est propre, et qui, dans leur exécution offrent l’analyse de tous les principes, que j’instruirai, échaufferai, contiendrai l’artiste qui s’élance dans la carrière de l’Architecture.
Tous les hommes ont une propension naturelle qui dirige leur choix et base leurs résolutions. L’enthousiasme change d’objet, et l’intérêt de but ; elle est invariable la ligne que le sort nous a tracée ; et, semblable au char qui roule entre deux abîmes, nous ne saurions la quitter sans nous perdre.
A l’homme fidèle au vœu de la nature, et qu’emporte le sentiment brûlant de sa destinée, donnera-t-on de froids et assoupissants préceptes ? L’effraiera-t-on par le vague immense de l’horizon qu’on ira lui découvrir ? Ses yeux ne doivent-ils pas plutôt trouver où se reposer, voir le précepte confirmé par l’exemple, et l’exemple amener cette discussion qui éclaire et donne aux facultés leur utile développement.
Tout tient à l’impression du maître.
Les projets les plus simples prennent la teinte de l’ame qui les conçoit ;7 elle donne son empreinte à tout ce qu’elle touche, et si elle ne veut pas ressembler au grand nombre parce qu’elle est au-dessus de lui, elle ne le rabaissera point, parce qu’il n’est pas à sa hauteur. Rien n’est indifférent.
L’homme qui ne seroit point pénétré de ce principe, seroit déplacé au milieu des hazards que les circonstances font éclore. Semblable au vaisseau lancé sur la vague agitée, jouet des aquilons capricieux, on le verroit indécis, incertain dans sa direction, éviter sans cesse le vent bienfaiteur qui seul peut le faire heureusement surgir au port.
Chacun, il faut en convenir, a sa manière de cingler ; mais quand on est tellement organisé qu’une voile oiseuse pour un pilote ordinaire, habilement dirigée, fasse franchir les pôles, on seroit condamnable de résister à sa destinée.
L’emploi du temps est comme le bonheur suprême, il presse la mesure et ne laisse rien à désirer. Ne croyez point que l’on ait besoin de cette gloire fugitive et stérile qui séduit le commun des humains et se borne à la vie, quand on a droit de prétendre à ce patrimoine inattaquable, fruit des sollicitudes, fondé par l’indépendance, assuré dans les fastes de l’art, et qui n’a rien à redouter des vacillations du globe.
Dans les préceptes il est une marche à suivre ; j’ai dû classer mes exemples. L’ordre chronologique m’a paru le plus simple ; il facilite le rapprochement des distances, la comparaison des productions et des temps qui les ont vu naître. On saisit plus aisément l’ensemble de l’espace que l’art a parcouru, des gouffres qu’il a comblés malgré la continuelle opposition de l’habitude et du faux goût, tyrans barbares dont l’homme du monde connoît le pouvoir et les effets. Souvent il aura vu la première se substituer furtivement même à l’amour, et le second doublant son bandeau, l’associer au vice et le prostituer à des monstres. Malgré l’application irrésolue et même vicieuse des principes de l’art, il sera facile de se convaincre de l’immutabilité des bases sur lesquelles ils sont fondés, par leur périodique reproduction.
Qu’ils disparoissent ces précepteurs à gages qui ont falsifié les idées mères en délayant le savoir dans le vase commun du métier ! ils ne sauroient atteindre à la hauteur de cet art sublime.
L’Architecture est semblable aux astres bienfaisants qui éclairent le monde. Elle a ses retours et ses phases comme eux ; comme eux elle éprouve de ces8 chocs qui confondent les éléments ; sa lumière se dérobe ainsi que la leur, sous l’épaisseur des nuages, et victorieuse de leurs ténèbres, s’en élance plus brillante et plus belle. Elle est entourée d’éclatants satellites qui réfléchissent sa splendeur et se soutiennent avec elle au sein de l’immensité, par son imposant équilibre.
Pour développer tout l’ensemble d’un art qui exige l’universalité des connoissances, et se dirige par le sentiment attractif de toutes les modifications sociales, j’ai rassemblé, j’ai réuni des vues partielles sur son origine, ses progrès, ses écarts et ses variations. Le volume antique est dans mes mains, et plongé dans la profondeur des méditations qu’il présente, je vois s’élever lentement et passer devant mes yeux étonnés, ces ombres motrices de l’inspiration.
Voyez sur la masse du globe ces taches additionnelles qui effraient la pensée ; ces tombes où sommeille l’orgueil ; ces dépôts fastueux des chétifs débris de l’homme, s’élevant du sein des déserts qui rappellent son néant.
Voyez ces nuages sans nombre qui s’approchent, se pressent, se déchirent ; ne diroit-on pas que ce spectacle les inquiète et les tourmente ? Est-ce un nouveau monde dont les sommités s’échappent de la confusion du chaos, ou sont-ce les catacombes de l’univers ?
Quel mortel, à cet aspect imposant, ne sent pas toute sa petitesse et ne se prosterne pas devant l’Architecte rival du Créateur ?
Jettez les yeux du plus loin, vous verrez les prodiges de Sémiramis, les merveilles des Hébreux.
Interrogez les cendres d’Ilion, les annales des nations les plus célèbres ; tous ces hommes qui ont paru à leurs plus brillantes époques, pour le bonheur des arts autant que pour le progrès de la civilisation : que vous apprendront-ils ?
Les Grecs dégrossissent les masses que la main patiente de l’Egyptien a formées ; les peuples plus modernes les atténuent ; elles s’appauvrissent sous Théodose ; les Goths occidentaux les divisent, et les rendent fatiguantes à l’œil par les ornements dont ils les surchargent.
Enfin le flambeau du génie ravive sa flamme, et l’excite en l’agitant conte les ruines des chefs-d’œuvre antiques ; l’art éclairé se ranime, et les grandsIntroduction9 principes s’adaptent jusqu’aux usages familiers, et c’est alors que ses bienfaits célestes se déploient et se généralisent.
J’appellerai l’homme heureusement organisé par la nature à sentir le profit qu’il peut tirer des découvertes des âges qui nous ont précédés, persuadé que les efforts qui contribuent à étendre les lumières ne sont jamais que relatifs au sentiment qui les provoque ; et convaincu que les folles productions d’une imagination délirante, officieusement couverte par les décombres du temps, ne peuvent laisser échapper qu’en faux éclat, je regarderai comme un devoir d’opposer à cette perfide lueur, la lumière vraie des principes destinés à éclairer notre âge.
L’impulsion qui met les hommes en action doit les porter tous à contribuer aux jouissances sociales.
Par cette utile direction, ils deviennent alors autant de réverbères qui, placés à des distances combinées avec leur portée, dissipent, par la réunion de leurs lumières, les ténèbres qu’un plus grand éloignement feroit naître.
Que les nations embouchent la trompette ! quelles sonnent un appel général à ce concours bienfaiteur ! l’Architecte sera prompt à s’y rendre, et sa main active et généreuse versera sur la société des trésors dont il ne la rendra comptable qu’à ses cendres. Semblable à la rosée, nourrice brillante de nos champs, que l’on ne célèbre que lorsqu’elle n’est plus, et après la récolte abondante des grains qu’elle a fécondés, ses travaux ne seront payés que par l’immortalité de son nom.
La postérité conservera, honorera sa mémoire. Dans ses ouvrages, propagateurs de l’art, elle en admirera les grands principes. Tout amalgame falsificateur, fruit unique des circonstances, disparoîtra.
Là, comme dans un livre élémentaire, ces principes se développeront avec leurs résultats divers, tous confirmés par l’expérience.
On y retrouvera la série de ces idées simples et positives, bienveillantes directrices des opérations du génie, et qui, dans les hommes destinés à suivre ses traces, seconderont si puissamment le jugement, pour le choix des moyens, et le raisonnement, pour l’emploi qu’on en peut faire.
Indiquons ces règles immuables qu’ils pourront y recueillir.
La salubrité des vents, le site le plus opportun des lieux doivent toujours 3 précéder et déterminer la disposition et la marche des constructions : on doit bâtir à raison de la température.
La dépendance qui n’a que trop perpétué les vices de conception, sera comptée pour rien, et on ne subordonnera pas la faveur de la position au crédit d’un usage considéré dangereux.
On ne s’écartera point de l’unité de la pensée, et des lignes de la variété des formes, des loix de la convenance, de la bienséance, de l’économie. L’unité, type du beau, omnis porro pulchritudinis unitas est, consiste dans le rapport des masses avec les détails ou les ornements, dans la non interruption des lignes qui ne permettent pas que l’œil soit distrait par des accessoires nuisibles.
La variété donne à chaque édifice la physionomie qui lui est propre, elle multiplie, change cette physionomie suivant les situations adjacentes et les plans qui conduisent à l’horizon, et d’un désir satisfait en fait éclore mille autres.
La convenance qui fait valoir la richesse et travestit l’infortune, subordonnera les idées aux localités, rassemblera les besoins divers, sous des dehors relatifs et peu dispendieux.
La bienséance nous offrira l’analogie des proportions et des ornements ; elle désignera au premier aspect le motif des constructions et leur destination.
L’économie des matières en imposera aux yeux sur la dépense réelle, grâce au prestige enchanteur qui trompe l’œil par les sages combinaisons de l’art.
On n’oubliera pas la symétrie ; puisée dans la nature, elle contribue à la solidité, et établit des rapports parallèles qui n’excluent pas le pittoresque, je dis plus, le bizarre qu’il faudroit bannir.
Qui pourroit le négliger le goût ? lui à qui nous devons tant de jouissances ; la méthode qui précise toutes les idées.
Le premier démontre la bonne ou la mauvaise manière de celui qui l’exerce ; le véritable goût est de n’avoir pas de manières ; il n’est pas, comme on le croit, attaché aux ailes fugitives de l’arbitraire, ni fondé sur des conventions fantastiques ; c’est le produit d’un discernement exquis que la nature a placé dans le cerveau qu’elle a favorisé.
La seconde présente des acceptions infinies ; elle nous apprend à lier les 11 choses les plus simples avec celles qui sont composées ; elle nous donne le moyen de tirer des conséquences suivies.
Qui n’a pas éprouvé le despotisme de la beauté ? cette sympathie subite et irréfléchie qui commande l’admiration et soumet nos sens à son empire.
On arrache au sein de la terre l’or qui fait disparoître les fléaux de la misère : six millions d’hommes vivent du produit des mers ; vingt millions se désaltèrent avec les fruits multipliés par l’industrie ; le goût du bien-être, le goût vivifiant du bien-être nourrit plus de monde encore, et marche à pas de géant chez les nations policées ; celui de la distribution entre dans tous les rangs de la société. L’homme du monde indique ses besoins ; souvent il les indique mal, l’Architecte les rectifie. Le premier sépare les inconvénients généraux de ses avantages relatifs, croyant avoir tout fait en dictant le nécessaire ; il voudroit légitimer des enfants désavoués par le scrupule de l’art : telle est son erreur....
Cependant la puissance créatrice de la distribution a des bases qui étendent et précisent les volontés, resserrent ses écarts, et quoiqu’elles appartiennent à tous les genres d’édifices, quoique ses recherches s’appliquent individuellement, ses modifications sont infinies.
La manière de poser la question sur la distribution la concentre dans des points donnés qui ont retardé ses progrès. Plusieurs nations la méconnoissent, d’autres abusent de la liberté qu’elle accorde : en Italie les divisions sont grandes ; on donne tout à la représentation ; en France on les multiplie, on les fatigue, on les contraint tellement dans les étages tronqués
Entresols.
, que l’on a compromis la salubrité, la commodité, altéré nos facultés, et détruit la bienfaisance de l’art.En présentant la variété sous tous les aspects dont elle est susceptible, je suis bien loin de croire qu’elle doive reposer sur les bases mobiles du caprice. Toujours assujettie à l’épuration du goût, à la sévérité des lignes, au principe tracé par l’impérieux besoin, qui commande à la nature entière, la distribution ordonne à tous les genres de services de se rapprocher de lui ; soit à la ville, soit à la campagne, elle ordonne d’économiser le temps, et de se prémunir 12 contre les fantaisies qui le prodiguent. Qui peut oublier ce que l’on doit à la classe laborieuse qui fend le sillon pour lui confier les germes nourriciers de la vie ? Qui peut oublier celle qui assure, accumule la maturité des saisons ? J’éveillerai la sollicitude publique sur les négligences que l’ignorant multiplie, que le voluptueux méprise, que l’insouciant perpétue. J’attaquerai, oui, j’attaquerai les abus accrédités par la servitude des usages qui retardent la science de la distribution ; je déchirerai le bandeau qui couvre depuis tant de siècles une pratique emmuselée, pratique que la conscience du mieux, développe plus qu’un précepte circonscrit qui voudroit la rendre invariable.
La décoration est le caractère expressif, plus ou moins simple, plus ou moins composé que l’on donne à chaque édifice ; elle distingue les autels qui disputent d’éternité avec l’Être suprême, du fragile palais que la puissance passagère soutient. Elle vivifie les surfaces, les immortalise, les empreint de toutes les sensations, de toutes les passions ; elle modifie les irrégularités du sort, abaisse la présomptueuse opulence, et relève la timide infortune ; elle flétrit l’ignorance, aggrandit le savoir, et dans sa juste répartition, elle donne aux nations le lustre qui les fait briller, et plonge dans la barbarie les peuples ingrats ou insouciants qui négligent ses faveurs. Cette coquette habile, appuyée sur les doux arts de la civilisation, joue tous les rôles ; elle est alternativement sévère ou facile, triste ou gaie, calme ou emportée. Son maintien impose ou séduit ; elle est jalouse de tout, et ne peut supporter le voisinage qui l’offusque, ni la comparaison qui détruiroit ses charmes. Sans cesse entourée par les désirs qui se groupent avec ses rayons, elle s’isole du monde
Les décorations bien conçues doivent être isolées, et ne peuvent être dominées par aucun corps qui leur nuise ou les resserre.
Dans sa retraite méthodique, elle a des mesures scandées sur des mouvements égaux.Si la science perfectionne l’esprit, si elle élève l’homme au-dessus de lui-même, ce caméléon séducteur travestit l’existence commune en présentant l’utile sous les formes de l’agréable, et l’associe aux attractions respectives et aux contrastes qui la font valoir.
Si l’Architecture ne supporte pas les corps étrangers qui lui commandent, 13 si elle trouve dans son isolement l’indépendance qui lui convient, elle ne peut se garantir des rapports approximatifs avec les parties qui la composent.
La beauté croît et s’efface à raison des oppositions ; elle est grêle, délicate ou robuste. La juste proportion s’enorgueillit de la pureté de ses contours et de ses rapprochements. L’œil par-tout satisfait, par-tout se promène, par-tout se repose ; il est ramené par l’attrait qui lie l’art à la nature. Ce n’est plus la composition de l’Architecte ; il disparoît sous la magie qui le fait oublier : c’est l’oracle du goût qui proclame sa souveraineté ; on oublie le dieu qui a présidé, l’artiste qu’il a inspiré, on ne voit plus qu’un délicieux assemblage qui confond toutes nos facultés : Et par l’effet constant d’un merveilleux hazard,Tout y paroît nature et tout y paroît art
Vers de M. Luce de Lancival
. C’est une des merveilles du monde ; que dis-je, c’est une partie du souffle divin qui ranime et embellit sa surface.Si la décoration favorise les ordres d’Architecture employés chez toutes les nations ; si l’encens du jour fume autour de ces longs fuseaux
Ces colonnes hors de proportion.
que le mauvais goût préfère ; si cet encens, dis-je, noircit l’idole en brûlant pour elle, on s’accordera généralement sur la beauté des ordres grecs ; mais c’est à tort qu’on leur a donné des règles applicables à tous les lieux, à tous les pays. La distance seule peut en fixer le diamètre et l’écartementCes ordres nous ont paru les plus convenables aux pays septentrionaux ; je les ai souvent employés avec succès à des distances éloignées.
; leurs puissantes facultés se resserrent pour concentrer leurs forces ; leur mâle contenance jamais ne se compromet ; voyez-les de près, elles offrent des proportions majestueuses ; voyez-les de loin, elles reprennent en élégance ce qu’elles perdent de leur force.Les ordres fragiles sont des êtres privilégiés ; ils se plaisent dans les lieux abrités ; ils conviennent aux tempéraments délicats ; le vent, les pluies, les glaces du nord, les chaleurs du midi décomposent l’acanthe recourbée qui pare leur tête ; ils altèrent les filets des cannelures que le Verseau brise dans l’excès de sa rage.
14Le beau temps ! où les tableaux de nos grands maîtres couvroient les murs de nos appartements, où la menuiserie abjurant ses lignes tourmentées, ses divisions, ses moulures, reprenoit les formes que la sagesse indiquoit : le beau temps ! où les dieux, assemblés sur nos têtes, défendoient les plafonds des fantaisies dépravées. Nos bronzes, nos tapis, chefs-d’œuvre de l’art, nos étoffes de Lyon, confidentes de la volupté des cours, des plaisirs des souverains, transportoient les beautés du Vatican dans les palais des empereurs du nord. Ce beau temps est passé ; des papiers dispendieusement économes qu’un souffle efface, que le soleil flétrit, que le vent fait envoler, souillent nos salons, nos boudoirs des couleurs noircies sous la lave d’Herculanum. La dignité de nos théâtres s’en afflige : par-tout on pleure l’absence du goût.
Je différencierai la décoration pour la présenter dans ses contrastes. La pierre, sous la touche de l’art, éveillera un nouveau sentiment, développera ses propres facultés. Souvent, très-souvent j’offrirai cette ordonnance libre et débarrassée de ses entraves, cette ordonnance qui plaît avec de belles masses, et doit sa pompe à l’économie subsidiaire, à des oppositions bien entendues, à l’appareil recherché qui décèle le savoir ; j’élaguerai ces emplois fragiles, ces ornements saillants que les tempêtes humides décomposent.
J’essaierai de prouver que ce parti est peut-être le seul qui convienne aux constructions particulières, dévorées par l’immensité, ou exposées aux accidents de l’air, qu’il est peut-être le seul qui ait la force de résister à la destruction.
Le critique, toujours hors des limites, applaudit avec économie ou censure avec prodigalité : en partant du principe, moins on offre à son humeur farouche, plus on est irréprochable ; voyez ce que l’art gagne quand il dépouille l’objet principal de tout ce qui est inutile ; voyez ce qu’il perd en le délayant dans l’accessoire. Telle pensée qui paroît commune, eût paru sublime, si elle avoit été débarrassée de ces détails de convention qui séduisent l’homme prévenu. On perd la vue si on s’accoutume à voir par les yeux d’un autre. Les désordres se perpétuent par imitation ou par l’attrait de certains rapprochements.
Après avoir analysé quelques parties de l’art dans ses détails, je lui présenterai tous les pas glissants du plaisir, toutes les ressources des passions vertueuses ; je lui présenterai le luxe du monde, ces astres terrestres, les 15 femmes à qui nous devons la lumière et nos facultés énergiques. Divinités de la terre, indépendantes des secousses volcaniques qui changent ses surfaces ; vous dont la fraîcheur égale celle du matin, et qui surpassez l’éclat du soleil dans son midi, faites jaillir sur nous une étincelle du feu avec lequel vous échauffez le monde ; nous vous devons nos premières idées et les élans qui mènent à la gloire, quand ils sont dirigés par vos vertus ; nous vous devons les premiers documents de tous les arts. Pourquoi n’amuseriez-vous pas notre enfance avec les hochets qui faciliteraient les principes et les feroient aimer ? Pourquoi ne tailleriez-vous pas nos premiers crayons ? Pourquoi enfin, ne multiplieriez-vous pas nos forces par de nouvelles puissances ?
Le sentiment fin et délicat dont vous êtes douées pourroit répandre sur les mœurs publiques l’empreinte de votre cœur, et sur l’économie politique, l’instruction qui ne peut être séparée de l’art dont vous faites le premier ornement
On sait que les cannelures imitoient les plis des vêtements des femmes, et les volutes du chapiteau ionique leur coiffure.
La discussion a ses dangers quand elle est mal dirigée, l’interlocution ses ennuis quand les passions pèsent sur les hommes.
Si je fais sortir le soleil des profondeurs de l’océan pacifique, ce sera toujours pour échauffer la terre de ses premiers rayons. Si je m’appesantis sur des motifs qui paraissent sortis du sujet, s’en éloignent ou sont par eux-mêmes peu intéressants ; si je romps cette harmonie désirable qui enchaîne les idées, je la renouerai bientôt par des résolutions qui justifieront l’écart, en mettant en évidence des préceptes constatés par la nature et l’expérience. Je pèserai sur les choses et jamais sur les personnes ; cependant on ne doit point s’attendre à trouver constamment une répartition exacte entre l’étendue et l’importance des observations descriptives et celles de l’objet qui en est le motif, les uns étant l’effet d’une impression simultanée, et les autres n’étant que le produit d’une application ordinaire.
L’homme se perfectionne par ses propres sensations ; en vain on voudroit les mépriser, rien ne peut les contraindre, elles franchissent tous les obstacles.
L’Architecture est à la maçonnerie ce que la poésie est aux belles lettres : 16 c’est l’enthousiasme dramatique du métier ; on ne peut en parler qu’avec exaltation. Si le dessin donne la forme, c’est elle qui répand le charme qui anime toutes les productions. Comme il n’y a pas d’uniformité dans la pensée, il ne peut y en avoir dans l’expression.
Chacun a sa manière de sentir, de s’exprimer : tantôt c’est un torrent qui se précipite des hautes montagnes, il entraîne après lui le rocher ; tantôt c’est le calme d’un beau jour qui laisse voir à travers l’onde argentine les reflets des arbres qui se peignent dans ces miroirs mobiles. L’homme élevé, toujours soutenu, ne compose pas avec le moment, il suit l’impression qui le domine ; l’artiste écrit comme il fait ; toujours inspiré, des bureaux de commis deviennent sous sa main des Propylées magnifiques
Propylées vient de πro, π, porte d’avant, ou πro, π, pile, pilier, strues, construction.
; la maison d’une danseuse offre le temple de Therpsicore ; le hangard d’un marchand développe les jardins de Zéphyre et Flore ; des champs arides produisent des usines, des villes où les colonnes poussent à côté des orties.Pourquoi, me dira-t-on, employer sans relâche le style figuré ?
Il faut du repos, il faut de grandes lacunes pour soutenir l’attention et faire valoir les objets susceptibles d’élans. Oui sans doute, c’est là le vaste champ où l’insuffisance glane à son aise. Lafontaine, cet homme inimitable, fait tenir aux bêtes le langage qui leur convient. Virgile, dans ses églogues, met dans la bouche du berger le mot de son état ; il peint la simplicité de ses mœurs ; il met dans L’Ænéïde l’élévation du poëme héroïque. Homère chanta la guerre d’Ilion, mais s’il s’étoit contenté de la décrire, il auroit ennuyé à la vingtième page. Quand l’Architecte décrit les usages déjà trop avilis des campagnes, il faut qu’il élève l’ame de son lecteur ; s’il n’est pas toujours obligé de donner de l’esprit aux bêtes, il est toujours forcé d’animer, je dirai plus, de faire respirer ses murs.
Parle-t-il des temples ? conçoit-il des palais ? il est souvent au-dessous de son programme. L’art sans éloquence est comme l’amour sans virilité ; déguisant l’instruction pour l’amalgamer avec ses prestiges qui font disparoître la sécheresse didactique, il offrira pour le plus petit objet ce dont le plus grand 17 est susceptible ; s’il bâtit une petite ville, il donnera le moyen de concevoir la plus vaste, et dans ces vues extensives tout est de son ressort, politique, morale, législation, culte, gouvernements. Qu’importe à l’artiste qui ne peut prétendre à être poète, et qu’on ne peut assujettir à la méthode, pourvu que son style attache à la pensée ce qu’il a voulu y inculquer. Si le scrupule du poète ne lui permet pas une mesure délaissée, s’il exclut les tableaux qui stimulent son imagination, pour s’empreindre de la couleur qui l’efface, qu’importe si l’artiste trouve dans son isolement de quoi développer de nouvelles puissances ? Qu’importe de quelle manière il s’approprie cette analogie sentimentale qui fait bouillonner les conceptions. Le langage qui s’applique à tel ou tel édifice souvent devient trivial ; sent-il le métier ? il n’est pas écouté de l’homme de génie : il ne peut pas même lui être utile, s’il ne remue pas son imagination. Mais si l’expression est l’image du sentiment, que risque-t-il de l’élever, on est déjà trop enclin à descendre de cet art sublime. Au surplus sa souveraineté n’a-t-elle pas bien le droit de faire des princes ? N’a-t-elle pas le droit de les choisir parmi les derniers sujets de son empire ? J’userai de la liberté qu’elle me donne, et souvent je divaguerai sur des matières qui paroissent n’avoir aucun rapport à l’Architecture. Que dis-je ? est-il quelque chose qui lui soit étranger ? Cet art qui rassemble toutes les connoissances, n’est-il pas lié par des attractions sensibles, à l’administration générale, à la politique des cours, aux mœurs publiques et particulières, aux sciences, à la littérature, à l’économie rurale, au commerce ? Est-il quelque chose que l’Architecte doive ignorer, lui qui est né au même instant que le soleil, lui qui est le fils de la terre, lui qui est aussi ancien que le sol qu’il habite ? N’a-t-il pas fallu des Architectes pour abriter l’homme le jour de sa naissance, des intempéries de l’air, des ardeurs brûlantes de l’été, des glaces de l’hiver ; il a tout mis en action dès le commencement du monde.
J’aurois rempli à peine la moitié de mon but, si l’Architecte qui commande à tous les arts, ne commandoit à toutes les vertus. Le projet est vaste sans doute ; mais ce que l’homme veut dans ce genre, les dieux le veulent aussi.
Après avoir déroulé les feuilles nombreuses des bâtiments civils, je présenterai les Propylées de Paris, tels qu’ils étoient avant leur mutilation,18 tableaux qui se lient aux sites les plus piquants, et dont les effets tiennent à la magie trompeuse de nos théâtres. Je dévillagerai
On entroit dans Paris en traversant un marais ou des voieries.
une peuplade de huit cent mille hommes pour lui donner l’indépendance qu’une ville tient de son isolement ; je placerai les trophées de la victoire aux issues fermées qui mutilent ses lignes de tendances ; je transplanterai les montagnes ; je dessécherai les marais, comblerai les précipices dont les vapeurs repompées par le soleil, retombent sur la tête des humains quand les tourbillons du serein se condensent ; je gonflerai les pentes de la plaine pour écouler les eaux paresseuses ; je présenterai les chemins destinés à désobstruer l’intérieur de la ville ; ces magnifiques boulevards, sans exemple pour l’étendue, je les préserverai des fardeaux excédants qui écrasent le grès, inquiètent l’habitant craintif ou préoccupé. Je présenterai des constructions dont la diversité rassasie la soif du désir, les vertus du dehors rassemblées dans un cercle pour niveler l’esprit public, ces masses additionnelles qui soumettent les temps les plus reculés aux calculs du moment. Je remplacerai le filandreux sapinLes portes de la ville avoient pour abri des auvents qu’il falloit renouveller souvent.
que pénètre la goutte tenace de l’équinoxe, par des péristyles solides qui abriteront le dépositaire des revenus publics. Pour la première fois on verra sur la même échelle la magnificence de la guinguette et du palais ; l’égalité morale n’en souffrira pas, je dis plus, n’en sera pas fâchée ; la supériorité de l’esprit et des talents s’enorgueillira. Je remettrai sous les yeux les dépenses des constructions, des mutilations, les produits perdus, consentis, les conflits ministériels, les abus d’autorité, l’effroi des âmes communes, l’importance des instruments choisis dans la turpitude pour lancer les traits aiguisés dans les cabinets subalternes et dirigés par la vengeance. On verra la nullité de ces amphibies désorganisateurs verbaliser sur le choix d’une borne, pour associer la multitude trompée et la race future à leur ressentiment. Ils dresseront des tréteaux dans les carrefours pour montrer, au son des clairons, des phantômes économiques qui dépensent pour détruire. Le croira-t-on ? on verra des criminels d’état livrés dans l’arène à la férocité des bêtes pour avoir assemblé sous des formes monumentales, des besoins publics dégénérés par l’opinion. 19 Comme si les insectes qui mordent le cuir invulnérable du talon pouvoient laisser la trace d’une impuissante piqûre ; comme si le génie pouvoit être avili par le trait honorable qui retracera un jour la magnificence d’une grande nation.Voyez ce complice du crime de mutilation ; fidèle à la haine, desséché par l’envie, il poursuit à perdre haleine les mortels qui pourroient inquiéter ses ambitieux projets ; et s’il montre quelques sentiments pacifiques, ce n’est que pour tourmenter les victimes qu’il a immolées et disséminer les cendres des tombeaux qu’il redoute. Déjà le Tartare vengeur le réclame, spectre haï de lui-même, il traîne en longs anneaux ses membres venimeux ; son œil hagard, les cavités de ses joues, moins profondes que les cavités de son ame, sont recouvertes d’une peau verdâtre et terreuse, à travers laquelle pousse la carie de ses os. Ah ! si ce monstre eût été médecin, au lieu de se dire Architecte, à l’exemple de Procuste, il eût mutilé, étendu, raccourci les hommes, il eût coupé les pieds, les bras, les jambes. On verra ces Erostrate du jour, déguiser les motifs de ces monuments, les dégrader, et se charger de la honte des siècles ; leurs noms seront imprimés sur les débris qu’ils ont noircis ; on les retrouvera sous la fumée qui enveloppe encore leurs mystères sacrilèges.
Tous ces détails tiennent aux grands événements qui élèvent ou détruisent les empires. Ils ne seront pas inutiles à la classe pure et timide des artistes qui auront à se prémunir dans l’exercice de leurs talents, contre les atteintes de la médiocrité et des passions qui l’accompagnent.
Elle apprendra que le génie crée, que le talent met en œuvre, que le sentiment de l’art met en place ; elle apprendra que les tempêtes politiques font reculer les siècles ; elle apprendra que quand on détruit, on donne l’aumône au métier et que l’on appauvrit l’art. O le beau temps ! où Paris conservoit encore son orgueil, où l’esprit entraîné par le torrent du génie, voyoit ses portiers logés dans des palais fastueux ! Quelle étoit alors l’expectative de l’Architecte ? Qu’auroient été un jour les palais des riches et des grands ? Les ruines des monuments qui constatent la splendeur des nations, annoncent ou précèdent la ruine des empires. L’art perd ses modèles, la race présente ses comparaisons ; la tradition seule y gagne en rassemblant les 20 désastres du monde, elle est la seule qui enrichisse ses fastes. On est saisi d’effroi quand on trace d’avance la marche du temps et l’impuissante leçon du passé ; on est saisi d’effroi quand on voit les arts se précipiter et s’enfoncer sur ces corps à demi brisés qui entraînent leur ruine. Si la progression arrivée au plus haut période peut exciter des mouvements subversibles, si elle peut amonceler ses décombres sous la lave politique, il faut en convenir, la terre dans la confidence, avertit et cache long-temps le volcan qui la renverse, l’explosion est ralentie par l’insuffisance des feux qu’elle concentre, et à raison des..........
Difficultés à vaincres
pour
la résolution des tous les projets
soumis aux artistes
Les corps où la réputation s’acquiert dans le calme d’une vie douce et inactive, ces corps où l’inertie s’alimente à frais communs, aux dépens des reflets nourriciers qui glissent sur le petit nombre, où l’on peut critiquer, déchirer sans pitié ceux qui luttent contre la fortune orageuse de l’opinion, parce qu’individuellement on ne s’expose à rien ; ces corps enfin qui sont censés s’occuper de l’art, en excitant par des concours l’émulation de la jeunesse, pour avoir fait quelque bien aux élèves, ont été presque toujours nuisibles aux hommes faits. Le goût est invariable, il est indépendant de la mode. L’homme de génie ne gagne que ce que les siècles qui l’ont précédé ont laissé perdre ; sa tête raïonnante s’élève et brille au-dessus des nuages qui défigurent les vérités premières ; il marche seul au milieu des préjugés ; je dis plus, semblable à l’aigle encourageant ses tendres nourrissons, il élève dans ses fortes serres les enfants timides qui n’osent approcher les cercles enflammés du soleil ; il affronte ses impérieuses influences, et si son œil perçant pénètre les antres de la terre, ce n’est que pour faire revivre les 21 puissances de l’ame qu’il oppose à l’inertie qui sans cesse paralyse les efforts d’autrui. Mais vainement il délègueroit ses facultés pour briser les chaînes de l’âge de fer, vainement il voudroit faire renaître les beaux jours d’Astrée. Avant que l’on couronne un premier effort, avant qu’un succès triomphe de l’habitude et soit passé en loi, que d’entraves à écarter ! que de lances à rompre !
L’instruction exclusive retarde tout ; celui qui donne le ton perpétue ses idées ; il n’y a de bien que ce qu’il avoue. Est-il éloquent ? il persuade, il égare ; rarement il exécute ce qu’il dit. Le génie est rétréci par des résultats épisodiques qui dénaturent le fond ; il est entravé par des conventions respectives dictées par l’insuffisance, quelquefois même par le plaisir de nuire. Si le projet livré à la discussion est médiocre, il provoque l’indulgence, assure la protection : on exalte la médiocrité pour obtenir un degré au-dessus. Est-il bon ? il révolte en secret l’amour-propre ; il fait éclore de serviles détracteurs qui lui opposent la méthode et la rectitude, le sublime des sots.
Leur théorie est si exclusive qu’il semble qu’elle ne soit susceptible d’aucune modification, tandis que le secours que l’on peut offrir à l’esprit humain seroit de lui présenter des bases établies sur la pratique de tous ceux qui ont puisé la proportion dans la nature qui ne peut l’égarer.
Malheur à ceux dont les facultés sont comprimées dans ces langes d’une théorie pédantesque qui ne permet pas même d’éveiller le sentiment dans la crainte de réduire à rien les cahiers rebattus avec lesquels on engourdit les talents qui se déploient
Gluck ne peut donner l’opéra d’Iphigénie renvoyé à l’examen du directeur dont la prudence l’éloigne, pour ne pas perdre la nombreuse collection d’opéra qui l’ont précédé.
. Après cette première épreuve, la lumière confondue dans le vague de l’irrésolution, est reportée dans de nouvelles lampes pour éclairer les dépositaires de la publique splendeur des arts.Comités auxquels on réfère
pour
toutes les constructions d’utilité publique
Ce nouveau tribunal n’a aucune idée de la sublimité de l’art.
Avant de passer à la filière les projets les plus ordinaires, avant de leur faire traverser ces corps épais et nombreux en finance, qui ne veulent que ce qui rapporte, et excluent ce qui ne rend rien ou annonce la dépense, que de moyens il faut employer ! La puissance abuse et masque l’oppression sous le prétexte de l’intérêt public. C’est alors que la connoissance de l’homme est plus nécessaire que celle de l’art ; on est réduit à tout gazer. Eh ! pourquoi non ? Un voile léger irrite le désir ; les femmes accordent tout en refusant tout. La gaze est donc un présent des dieux, puisqu’elle est la source du plaisir, l’aliment de la volupté, je dis plus, puisqu’elle est l’égide de l’art, et quelquefois le salut des empires.
La moitié des juges, circonscrits par l’autre moitié, ne voit que le moment ; elle ne peut monter ses connoissances au degré qui la rendroit indépendante ; elle n’envisage que des produits passagers, comme si l’économie d’une forme imposante, qui soustrait aux yeux la dépense présumée, valoit la couronne que décerne au génie le jugement impartial. Etabli sur des bases que l’instruction consolide, que l’expérience rend invariables, l’administrateur a un protocole qui soutient sa défaillante politique, et favorise publiquement ses vues ultérieures. Il sollicite tous les avis, il invite le grand nombre à concourir à ses vues, comme si l’on pouvoit ressouder des pièces à des fonds vicieux
Quand on a jugé la construction du bassin construit dans la méditerranée, il a bien fallu que l’administrateur s’abandonnât à des calculs inconnus jusqu’alors. Il s’est appuyé sur l’expérience de l’artiste, pour assurer l’exécution de l’homme de génie. Que d’exemples on pourroit citer qui constatent la perplexité de l’administrateur, et qui pourtant justifient son choix. Mon premier projet fut livré à la discussion des artistes ; je ne l’aurois pas exécuté si on avoit suivi l’impulsion ; le dernier…, le palais de justice à Aix, les prisons ont éprouvé le même sort.
. 23Il obtient de sa circonspection les résultats qui attestent sa prudence. Qu’ils sont loin de contribuer au progrès de l’art ! La plupart des hommes instruits ne jugent que lorsqu’ils comparent : compilateurs exacts , ils s’appuient sur tous les exemples qui servent de boussole ; ce qu’ils n’ont pas vu effarouche leur raison ; ce qu’ils ont vu embarrasse leur discernement. Qui pourra juger l’homme de génie, puisqu’il est toujours neuf ? Est-ce un siècle enveloppé dans les ténèbres de l’erreur ? Qui pourra faire renaître des cendres éteintes ou affaissées sous le poids de l’ignorance ? est-ce le grand nombre ? l’opinion ? Cette idolâtre qui se prosterne aux pieds de la divinité du jour, a besoin du temps pour épurer son culte.
Jugera-t-on au nom de tous ? Le despotisme d’une décision affermie par le prétexte de l’intérêt public cédera au sentiment particulier qui captive la bienveillance. Est-ce la multitude ? Elle n’est pas instruite. Est-ce le petit nombre ? Un seul, croyant plaire à tous, égarera son siècle sur la conscience de ses propres sensations.
Est-ce l’homme instruit ? Souvent il cache sous des dehors modestes un langage dépréciateur, des préjugés dont il se fait un rempart pour repousser les productions ingénieuses qui sont au-delà de sa portée. Semblable à l’oiseau de proie qui inquiète l’air tranquille pour y chercher des victimes, quand il vous tient dans ses serres hypocrites, s’il vous laisse échapper, ce n’est qu’après vous avoir à moitié dévoré.
Les ouvrages importants,
ceux qui imposent à la multitude,
nuisent au bonheur
et à la fortune des artistes distingués
L’artiste démontre son caractère dans ses ouvrages ; les grands intérêts le développent ; les événements, suivant la manière dont il en est affecté, l’exaltent ou l’anéantissent.
Ce qui devroit parler en faveur de ceux qui se distinguent, ce qui devroit les rapprocher des affaires publiques, les en éloigne : les hommes en place, concentrés dans leur goût particulier, s’entourent d’adulateurs intéressés qui les approuvent ; leur force naît de leur inertie. On entretient leur impuissance par des lieux communs, des compilations accréditées qui intimident leur confiance et repoussent ceux qui dévient de la voie tracée.
Celui qui affiche la dépense sur des formes imposantes, blesse la pusillanimité ; celui qui la déguise et compromet la matière, sous un aspect trivial, séduit un caractère parcimonieux, et offre à la multitude le prestige imposteur du bon marché.
L’homme en place est entouré de la populace des grands, de la populace des petits : l’embarras est inextricable ; cependant ce qui exalte la pensée du spectateur, n’est pas toujours ce qui coûte le plus, c’est souvent ce qui coûte le moins.
Quoi qu’il en soit, on sait qu’il n’y a de bien que ce qui impose au grand nombre, et plaît aux yeux exercés dans les siècles de lumières. Il n’y a de véritable économie que dans la pensée, puisqu’elle ne coûte rien ; de dépense réelle, que dans l’emploi ménagé des matériaux de tous genres auxquels on attache un prix. Il résulte du principe que le plus habile artiste est le moins dispendieux et le plus redouté. Cependant tel est le sort des premiers talents, on confie les intérêts les plus précieux à l’homme de métier. Il semble que 25 l’amour-propre, humilié de la transcendance, trouve dans le rapprochement de quoi justifier son choix. Quelle bizarrerie ! quel contraste ; on choisit pour la défense d’un procès de mille écus, le meilleur avocat, et on en confie cent mille au manœuvre qui sait à peine entasser le moëllon. Il y a plus, le public abusé par le mot, confie aveuglément ses intérêts à celui qui achète le droit de juger l’homme de génie, d’estimer le bronze de Phidias, le plafond qui partage avec le peintre la gloire des travaux d’Hercule
Lemoine fut réglé à la toise ; il en mourut de douleur.
Le croira-t-on ? il doit connoître le prix de la matière, la priser, la régler ; il est le mouvement ostensible de la loi, cela suffit pour capter la confiance, adoucir les froissements et niveler les intérêts réciproques. Faudra-t-il que l’histoire médisante nous apprenne que cet esclave docile de l’impéritie brise le sens en soumettant la difficulté, ne doute de rien parce qu’il ignore tout ?Semblable à l’araignée importune qui file sans cesse par un besoin physique, et tend ses pièges fragiles sur toutes les surfaces abandonnées, ce n’est ni le goût ni le raisonnement qui guide sa course divergente, c’est un gluten que la nature lui a donné, et dont il faut qu’elle se débarrasse.
Nulle situation n’est féconde pour l’homme stérile.
En vain on m’alléguera que toutes les conceptions ne sont pas susceptibles du sentiment que le génie développe, que la plupart sont exclusivement enclavées dans la pratique commune. Quelle est votre erreur ? Est-il quelque chose que l’artiste puisse dédaigner ? les thermes de Plutus, le hangard du négociant, la grange du cultivateur doivent porter son empreinte. Le grand appartient essentiellement aux édifices de tout genre.
Si l’homme ordinaire rapetisse l’occasion, l’homme de génie sait l’agrandir. Cependant jettez les yeux sur tout ce qui vous entoure, vous verrez la prodigalité s’étendre en petit sur une façade de quatre-vingt toises, tandis que la retraite du sage qui sait diriger son choix et apprécier ses emplois, étale en grand la vraie richesse dans l’espace de six. D’où vient le vice ? La première est divisée et présente des ornements de mode qui fatiguent les yeux et corrompent la pureté des lignes. L’autre est une, et n’offre aucun de ces hors-d’œuvre qui atténuent la pensée principale. Séparant l’exécution 7 d’un monument, du motif qui l’a fait ériger, la renommée ne voit dans l’entrée du palais qu’elle préconise, que la somptuosité des moyens employés
C’est à tort que l’on considère l’or comme magnificence ; la vraie magnificence tient à la bonne proportion : on peut être somptueux sans l’appareil de la dorure et des ornements.
. Là, ce sont des colonnes exhaussées sur des murs méthodiquement troués ; on les accouple pour soulager celles qui ne le sont pas.Ici, c’est une place creusée à la gloire d’un prince ; la conception n’offre rien de triomphal. On a prodigué les croisées d’habitation, on les a chargées de tous les rebuts du goût. Plus loin, c’est un temple élevé sur le mont Janus ; les entrecolonnements sont si distants que l’on croiroit qu’ils attendent un intermède. En examinant ces futiles détails, on croiroit que ces filigranes en pierres, qui soutiennent des cubes qui les écrasent, n’ont été ainsi placés que pour éprouver les matériaux du pays. Il semble qu’on n’ait compilé les restes somptueux et dégénérés de Zénobie, que pour disséminer chez nous les écarts d’une doctrine relâchée. Ne croiroit-on pas voir ces ruines dresser leurs fronts décharnés ; avares des ombres décidées qu’elles doivent porter, elles rampent avec la race des serpents, sur une terre inculte, dans l’oubli des proportions.
De tous temps, les souverains ont donné le ton.
Ils resserrent ou étendent les progrès du goût ; les particuliers suivent l’impulsion ; les principes qu’on leur donne contribuent aux progrès de l’art ou le maintiennent dans un sommeil léthargique. Voulez-vous leur donner l’extension dont ils sont susceptibles ? Présentez l’étude sous des formes libres qui n’entravent pas la pensée, et qu’un délassement instructif soit pour eux la récompense d’un travail plus sérieux.
La souveraineté de l’art protège tous ses sujets ; je dis plus, elle protège les gouvernements, puisqu’elle peut multiplier, étendre les valeurs que l’adulation comprime. La confiance, intéressée à maintenir ses droits, caresse les goûts des princes, les circonscrit dans le cercle étroit qu’elle trace pour encenser leur toute-puissance. Si l’artiste est victime de l’erreur, les princes le sont des préjugés. On leur répète sans cesse que les colonnes ne conviennent qu’aux 27 dieux du ciel et de la terre
Louis XV voyant de loin un péristyle de colonnes que j’ai érigé dans un édifice particulier, dit : elles ne font pas mal pourtant ; approchant de plus près : elles font bien.
. Le ministre, le courtisan veulent plaire, les imitateurs serviles suivent le poncis.L’artiste est tellement enclavé quand il soumet ses élans, qu’il craint d’exposer sa faveur et n’ose franchir les lignes données. Semblable au lierre qui s’attache aux murs dégradés, et ne peut négliger les joints qui servent à l’élever, il suit la trace dans l’espérance de s’échapper, et de reprendre au sommet la liberté de fuir.
Qui n’a pas éprouvé cent fois les effets de ces autorités précaires ? de ces prétentions si nuisibles au succès de l’art ? Qui n’a pas été victime de cette inertie forcée qui a tenu trop long-temps l’Architecture dans une obéissance humiliante. Cependant celui qui bâtit une grande maison et celui qui en construit une petite n’ont-ils pas un droit égal sur le talent de l’Architecte qu’ils choisissent ? Oui sans doute, par-tout où on élève un plain
Mot usité que l’on oppose au vuide.
, on peut arrondir une colonne, on peut employer des dimensions analogues.Les édifices publics, les maisons particulières sont assujettis à des hauteurs données relatives aux largeurs ; si on les voit de loin, la proportion nécessite des ordres d’un grand diamètre ; si on les voit de près, elle exige que le diamètre soit plus ou moins fort.
Le goût ne supporte pas l’exclusif, il dicte ses loix à la ville, au village. Pourquoi séparer l’ordonnance que l’on obtient des belles formes ? Pourquoi ravaler sa dignité en l’assujettissant dans le moule commun des constructions de campagne ? C’est le moyen de rendre maniéré l’art de bâtir, qui ne doit pas l’être plus que celui de peindre. Cependant on a fixé des règles élémentaires ; on nous rappelle la théorie basée sur les temples des anciens, sur l’application que les modernes ont faite des détails qu’ils en ont distraits pour les employer à nos usages. Nos yeux habitués aux décorations de convention, aux plans sans mouvement, empreints des souvenirs hétérogènes que le délire du jour accueille, n’exigent rien de ceux qui se soumettent à la pratique condescendante qui asservit l’art. Il semble que les productions 28 soient alignées avec le cordeau de la stérile uniformité. La critique concentrée dans ses limites fait rentrer dans le rang ceux qui le dépassent ou s’en écartent, comme si les besoins successifs de l’ordre social n’appelloient pas assez la variété. Que diroit-on d’un monstre qui n’auroit ni bras ni jambes ? C’est ce que deviendroit l’Architecture dont on supprime les seuls effets que l’on puisse tirer des corps ; des saillies bien combinées, des ombres portées, cet isolement enfin qui offre en tout sens le contraste des masses ? Que diroit-on de l’artiste qui étaleroit continuellement sur la place publique le même tableau ? qui l’exposeroit tous les ans dans nos galeries conservatrices des chefs-d’oeuvre de l’art qui décèleroient son impuissance ? Si tous se laissoient aller à l’oisiveté que le génie réprouve, que deviendroient ces fabriques inépuisables qui identifient les ressources de la création avec la puissance de l’homme ? Tous les arts sont fondés sur les mêmes bases. L’Architecte du monde n’a-t-il pas varié ses tableaux à l’infini ?
Pourquoi l’artiste ne l’imiteroit-il pas ? Le premier peintre fut amoureux de son modèle ; Pygmalion s’enflamme à la vue de sa statue. Les générations marchent sur des échasses, et donnent la vie aux dieux. Que de variétés ! Pourquoi l’Architecte ne suivroit-il pas l’impulsion ? On me dira, sans doute, que le peintre a sa liberté ; sa pensée n’est pas entravée, il peut couvrir sa toile comme il lui plaît ; il a sous les yeux les plus beaux exemples, les dimensions préférées de tous temps ; il a le beau idéal que le goût réserve pour ses favoris ; son art est sublime, et ne supporte pas la médiocrité ; sans cesse, il provoque la nature ; toujours à côté d’elle, il la domine, et l’assujettit : son caractère est exclusif, l’élévation de son ame tient au sentiment intérieur de ses forces. L’Architecte est presque toujours gêné sur la pensée, la dimension, le point de vue ; le cadre même est rarement à sa disposition. Je dis plus, souvent il faudroit qu’il eût le courage de déplaire pour ne pas charger ses monuments de complaisances nuisibles ; mais ce sentiment délicieux qui divinise la beauté, ce beau idéal, enfin, ne l’a-t-il pas comme les autres ? Ses idées filtrent à travers les passions heureuses et s’y teignent avec éclat. Quel vaste champ ! Tous les dérèglements viennent de l’abus des données essentielles. Si le peintre présente l’homme sous toutes les faces, l’Architecte n’a-t-il pas un pouvoir colossal ? Il peut, dans la nature, 29 dont il est l’émule, former une autre nature ; il n’est pas borné à cette partie de terrain trop étroite pour la grandeur de sa pensée ; l’étendue des cieux, de la terre est son domaine ; il assemble les merveilles immenses pour la couvrir ; il crée, il perfectionne et met en mouvement ; il peut assujettir le monde entier aux désirs de la nouveauté qui provoque les hazards sublimes de l’imagination. On seroit bien étonné alors de voir la symétrie, confondue avec l’inaction, dégénérer dans cette unité stérile, qui n’est autre chose que l’oubli des facultés, renaître de ses cendres. On seroit bien étonné de voir un édifice transposer le Temps sur une nouvelle terre, pour le rajeunir, prendre chez les Goths, les Chinois, ce que le génie refuse, séparer les discordances des siècles, les engloutir pour harmoniser le nôtre.
Chaque principe régénérateur prêteroit à toutes les surfaces les seuls agréments que l’on obtient des oppositions. D’où vient donc la gêne ? De tous les moyens négligés ou méconnus. On emploie également les mêmes proportions, vues de près, vues de loin. Quelquefois les premières plaisent, toujours les secondes perdent, leurs valeurs s’atténuent et s’effilent : on peut douter si l’art a présidé au choix des lieux.
A une pensée qui appartient au sujet on est forcé d’amalgamer celle qui ne lui convient pas ; je dis plus, celle qui nuit. C’est ici où le génie comprimé perd le tribut d’harmonie qu’il doit à l’univers. Ce qui auroit le plus contribué à l’effet est défiguré par l’assortiment bizarre d’idées contradictoires, par l’alliage monstrueux de complaisances destructives. Il est presqu’impossible que le scrupule puisse compter pour quelque chose ces additions mal-ensemble auxquelles il manque des parties pour composer un tout que l’on avoue.
A juger l’Architecte dans sa circonscription, ne croiroit-on pas que la nature négative ait tellement restreint ses facultés qu’il ne puisse les étendre ? Ne croiroit-on pas qu’il ressemble à la mouche avide qui sollicite par-tout le suc des fleurs, et dont l’alvéole méthodique compose une maison hexagone, sans pouvoir aller plus loin.
Pour mettre à fin des ouvrages bien étudiés, il faudroit que l’éducation première fût plus répandue, que l’homme du monde individuellement attaché aux succès de l’art, déployât ses réserves, ses désirs sur tous les genres de perfection que l’on peut attendre de la liberté de concevoir. Il faudroit de 30 la tenue dans les administrations pour lier l’accroissement des connoissances à l’utilité publique ; de la suite dans les idées des administrateurs, c’est ce que rarement on rencontre.
La présomption, ennemie du savoir, altère tout ; dans ses métamorphoses elle ne change que du bien au mal. Tout ce que j’ai vu semble repousser la prévoyance, et rend inutile toute anticipation sur l’ascendant du moment.
L’homme répand sur la terre des sueurs impuissantes. Il semble qu’une profonde léthargie enveloppe toutes les branches du bonheur et engloutit ses semences, loin de les reproduire. Telles sont les théories les mieux concertées, les mieux imaginées pour embellir les surfaces du globe : on les prendroit pour des fictions comparables aux métaphores. La pratique absorbante use le caillou sur lequel on les a fait briller, et le monde refroidi les repousse pour jamais, souvent même les annulle. Ces villes dont la conception a excité l’enthousiasme d’une administration instruite ; ces établissements conçus par l’économie politique ; ces lignes commerciales qui traversent le continent, ces canaux qui grossissent la plaine liquide ; ces villages ou la philosophie compose avec les dédains de la fortune ; ces temples du culte qui avoient repris sur l’air la pureté que des hommes cupides avoient altérée ; ces palais de Thémis où la balance fixoit avec égalité les droits respectifs ; ces prisons dirigées par le respect dû à l’innocence et même au malheur ; ces associations vertueuses qui assurent les mœurs publiques ; ces produits recouvrés par l’industrie des campagnes, etc… : ils étoient, ils ne sont plus.
Ces constructions exaltées par l’imagination, élevées par enchantement, détruites pour servir les passions : elles étoient, elles ne sont plus.
Que reste-t-il de ces combinaisons dictées par la sagesse ? Des monuments travestis, d’autres mutilés, d’autres.... La postérité aura peine à croire que l’année qui les fit éclore les fit périr. La tradition qui survit aux incertitudes administratives attestera un jour ce qu’avec plus de tenue on auroit pu faire pour le progrès des arts. Elle déchirera le voile qui enveloppe les passions ; les échos publics se feront entendre ; les flambeaux destructeurs ranimeront leurs feux mal éteints, pour éclairer des débris. Ainsi la création par qui l’homme devint dieu, s’unit à la puissance qui ranime les corps, et commande à la destruction de lui rendre les droits qu’elle a usurpés sur elle.
31Tout étoit tranquille ; déjà l’astre du jour interposoit entre lui et le couchant les teintes qui alloient l’obscurcir ; déjà la scène se couvroit d’un voile sombre, les oiseaux voltigeoient au gré de leurs inquiétudes, leurs chants étoient suspendus, lorsque je convoquai la troupe dorée de la misère
Les mendiants titrés.
, pour assister au réveil de l’opinion.Mendiants des dieux ! mendiants des souverains ! les uns possèdent le quart des propriétés, occupent de modestes palais, de vastes parcs, cimetières des vivants
Plusieurs ont une valeur de six millions.
. Les autres, à l’entrée de la capitale, font payer le droit de voir les édifices des grands, ne différant des petits que par la multiplicité des besoins. Voyez l’échelle qui indique la grandeur de ces derniers bâtiments. Voyez ce que la progression auroit donné à ceux à qui ils sont subordonnésLes Propylées de Paris.
.Quoiqu’il soit difficile d’établir des bases inamovibles sur le sable glissant d’une vie croisée par l’intrigue ; quoiqu’une politique approbative puisse éviter des dégoûts en flattant les erreurs qu’elle réprouve ; quoique je sache que la fortune, les affections les plus chères ne se conservent que dans le sommeil de l’impuissance, je n’ai jamais craint de perdre la tranquillité que l’on acquiert dans une dépendance humiliante. Ferme dans mes principes, persuadé que les routes détournées ne conviennent qu’aux caractères peu soutenus, j’ai suivi celle que j’avois tracée ; souvent j’ai combattu contre la prévention qui assure la victoire, souvent je l’ai remportée.
Tel est le fruit de la persévérance, on compte pour rien ce qui peut distraire ou rebuter ; on met en opposition les disgrâces qui fatiguent, le plaisir qui s’applaudit du bien ; l’amertume pèse sur la lie qui tombe au fond du vase, les forces accrues par la contrariété pétillent gaiement, et la mousse légère s’élève au-dessus. Semblable aux fleuves grossis par les pluies abondantes de la saison d’hiver, ni les ponts, ni les remparts ne peuvent retarder la course rapide qui renverse les plus hautes digues et dévaste les champs dépositaires de la fortune publique.
Persuadé que l’on n’opère le bien des autres qu’aux dépens de celui que 32 l’on compromet, je n’ai pas craint de m’exposer d’avance à de nouvelles sollicitudes.
Après y avoir employé mes loisirs et les restes d’une fortune épuisée par la pression et l’ingratitude des temps, je me suis déterminé à mettre au jour la première partie de la collection la plus nombreuse que je connoisse ; je me proposois de laisser cet ouvrage volumineux à ceux qui me succéderont, et d’abandonner à la critique alors impartiale le droit qu’elle acquiert par la publicité. Ah ! pourquoi redouter la critique, c’est refuser un rendez-vous délicieux au centre des bois, près d’un marécage, parce que l’on a peur de la piqûre éphémère des cousins. Mais l’avenir qui fouille dans les trésors de la pensée du jour, perd le fruit qu’il vouloit cueillir, s’il n’est pas étayé des motifs qui guident la pratique, et dégagé des entraves qui asservissent l’exécution. Quoique les édifices conçus et érigés par un seul homme, présentent moins d’intérêt que les collections de plusieurs, cependant si la variété satisfait le désir, si elle multiplie les jouissances, développe les idées, cet homme aura plus fait que le grand nombre qui offriroit les abus d’une méthode circonscrite par les préjugés.
L’ouvrage d’un artiste qui a soumis de grands évènements à des calculs précoces qui ont guidé son itinéraire, peut être considéré comme un poëme épique où les nations comptent pour rien l’unité des lieux. La curiosité le suit ; l’Europe est un vaste théâtre dont les coulisses sont éclairées par un météore brillant.
Les uns déprécient, les autres admirent, suivant le point de vue ; la gloire que les hommes dispensent n’est jamais en proportion avec le travail qui la procure, elle est comme l’ombre, toujours plus longue ou plus courte que l’objet.
Le succès qui suit la marche des réputations est en raison inverse des distances. Les plus éloignées l’emportent sur celles que l’on voit de près
Joseph II, Paul Ier, viennent à Paris et voient cet ouvrage ; ils souscrivent douze ans d’avance. Le monument des invalides, souvent méconnu de ceux qui avoient intérêt à sa magnificence, est visité par ces souverains.
.Quand le temps ôte l’espoir de transiger avec les évènements ; quand il ne 33 peut les maîtriser, on est bien forcé de composer avec lui, et de s’exposer aux chances douteuses qu’il ne peut arrêter. Il vient un moment où l’horizon de la vie ne laisse entrevoir que le vuide du passé ; c’est alors qu’il faut s’entourer de souvenirs, c’est alors qu’il faut fixer le sablier du temps, retarder le comble de la mesure, et mettre à profit les années que l’on a soustraites au repos.
Au repos ! Que dis-je ? En est-il pour celui qui est impatient de faire murir les plantes qu’il a semées, qu’il a arrosées et qu’il voudroit cueillir. Invité par des étrangers qui désirent, à raison des difficultés et des intervalles immenses à parcourir pour connoître ce que la renommée porte dans leurs climats ; invité par des artistes distingués, commandé par un travail assis sur l’expérience, par la certitude de contribuer au progrès de l’instruction, je n’ai pas cru devoir résister plus long-temps aux sollicitations qui me pressoient.
Contrarié toute ma vie, sous tous les rapports, je n’ai rien fait que j’eusse voulu faire ; j’ai commencé beaucoup de bâtiments que l’inconstance ne m’a pas permis d’achever. Il semble qu’une jouissance attendue soit désespérée ; le point de vue la rend au moins douteuse : il semble que cette nation ne soit pas susceptible d’une pensée durable, et qu’elle ne puisse atteindre au-delà du provisoire. Ce que j’ai conçu rapidement a été exécuté de même ; ce que je n’ai pas exécuté promptement n’a pas été terminé. Ce qui auroit le plus contribué à faire valoir mon ouvrage n’a pas été achevé
La suspension du palais de justice, des prisons de la ville d’Aix a excité mes regrets.
Le Palais seul contenoit un arpent superficiel sans cour ; l’exécution commencée, les études faites en grand, les modèles, tout pouvoit assurer la pureté et la recherche.
.Des circonstances impérieuses ont coupé, avant mon automne, le fil de mes occupations
Tout-à-coup des places obtenues par un long travail passèrent dans des mains sacrilèges : j’ai perdu le fruit de trente années de services honorables.
. Dans le tourbillon qui les enveloppa, il est impossible qu’une partie de moi-même n’ait pas tout à désirer de l’autre.Au surplus, la lumière des cieux n’éclairera peut-être jamais celui qui aura fait, ou commencé, ou même conçu cent monuments ; elle n’éclairera 34 peut-être jamais celui qui pendant trente ans aura sacrifié sa fortune et ses loisirs pour instruire les races futures.
J’ai parlé de persévérance ; voyez ce qu’elle peut quand elle est étayée par l’espoir de faire le bien. Le principe qui m’a dirigé durera plus que les pyramides.
Les villes se détruisent, les nations changent la face de la terre, les déluges déplacent les mers, l’airain transige avec le temps, il soumet à son éternité tous les genres d’élans. Quelque profonde que soit la méditation, quelle vaste carrière elle découvre à ceux qui voudroient entrer dans la lice !
Si l’Architecture, par ses attractions est la souveraine du monde, les préjugés, enfants gâtés du despotisme, en sont les tyrans ; ils sont asservis aux anxiétés, aux vues rétrécies qui prennent leur source dans l’impuissance ; ils ne font rien que l’art puisse avouer.
Que peut un artiste quand tous les sentiments se croisent ou se contredisent ; voit-on que Dieu assembla les éléments discords quand il voulut former le monde ? Non sans doute. Quoi ! quand l’Etna semble sortir de ses flancs, quand son cratère enflammé fait trembler les peuples d’alentour, cet art qui se mêle à toutes les jouissances de la vie, craindroit d’éveiller la stupeur intéressée, il craindroit de débarrasser la terre des monstres qui s’opposent à la liberté de ses efforts ! Avant de franchir les marais du Styx, j’aurai la satisfaction d’avoir brisé les chaînes qui l’entravent, de les avoir fait tomber.
Il restera beaucoup de choses à dire, mais ce que j’aurai oublié se trouvera dans l’expression isolée de la discussion qui ajoute à la pensée, dans la théorie fondée sur les différentes situations, dans la liberté de concevoir, dans l’abandon des réserves de l’école.
On le retrouvera dans le développement du cahos qui couvre les matières premières, dans le feu, sur les murs
Le Calabrois voyoit sur les vieux murs, les compositions de tout genre. Il fut justement récompensé par une commanderie et une forte pension.
, sur les surfaces délaissées, dans tous les mélanges qui contiennent l’origine de tout, et dans les ressorts inépuisables de l’imagination, sans lesquels le génie ne produit rien.Alors l’Architecte cessera d’être copiste, et si l’aigle n’est pas l’oiseau le 35 plus commun des airs, aussi rare que lui, il développera sur la terre de nouvelles forces, anéantira la voûte qui couvre l’avenir ; il disputera le terrain à la nature, il la rivalisera, il trouvera dans le champ qui n’offre que l’aridité, des récoltes qui enrichiront la terre. Au milieu des montagnes pierreuses, des rochers stériles, des ronces qui croissent au désert, il trouvera le moyen de la forcer à de nouveaux produits dont la maturité irrite d’avance la jalouse impuissance des nations rivales.
Idées générales des salines
Motifs qui ont déterminé le Gouvernement
à arrêter les plans
de la saline de Chaux et les autres établissements
J’étois inspecteur-général des salines en 1771 ; la défaveur qui portoit sur la célébrité en 1793, n’empêcha pas d’acquitter la dette consolidée par 23 années de services rendus. Depuis, comme Aréthuse, j’ai voyagé sous terre. Quand, comment en sortirai-je ?
La saline de Chaux
Ainsi nommée à cause de la forêt. Les honoraires de la construction de cette saline sont encore dus ; on peut les estimer 200,000liv.
peut être considérée comme l’usine la plus importante que l’on connoisse en ce genre. Jusques-là il semble que les édifices n’aient été susceptibles que de constructions faites au hazard.A mesure que les besoins nécessitoient des demandes, on les assembloit mesquinement sur des dimensions dispendieuses ; on entassoit des matériaux hétérogènes les uns sur les autres, on calculoit la durée du bail, à la fin duquel on obtenoit pour résultat intéressé, des entretiens coûteux et multipliés ; on peut en juger par la saline de Rozières
L’imprudent espoir du mieux perdit la source salée, pour avoir déscellé la pierre qui la couvroit au fond du puits.
: la destruction a suivi de près l’existence. Vous philosophes ! Vous législateurs, qui dictez les loix 36 du bonheur ; vous souverains qui commandez ! vous ministres des dieux, ministres de la terre qui faites exécuter, venez prendre ici une leçon.La vérité est là, elle est au fond de ce souterrain excavé dans le roc. Allumez vos flambeaux, agitez-les sur ces margelles arrondies ; descendez, lisez : noli me tangere. Plaise à Dieu que l’intérêt des peuples qui maintient l’imposant équilibre des religions, des gouvernements, consacre ce principe ; plaise à Dieu qu’il élève des temples, qu’il les multiplie pour y placer, au centre des passions ambitieuses, cette inscription solemnelle.
Les salines de Moyenvic, de Château-Salins, de Lons-le-Saulnier, offrent des surfaces discordantes, un amas de matières insolides, abandonnées au caprice. Celle de Dieuze, aussi importante par son étendue qu’elle est profitable par l’abondance de ses sources, présente au premier aspect des bâtiments somptueux. Hélas ! si on avoit prévu ces accroissements, si on les avoit assemblés sous des formes avouées, on auroit pu bâtir une ville considérable. L’expérience alliée au goût auroit légitimé des enfants déshonorés au berceau : que de millions compromis ! que de regrets tardifs ! quand la pensée première est au-dessous des besoins qui lui succèdent.
Qui pourra accuser l’artiste ? Ceux qui connoissent le labyrinthe inextricable des décisions, savent que les administrateurs entravent souvent les projets les mieux concertés. La providence, toujours économe, ne leur donne pas toujours le nécessaire. Celui qui ne voit que le moment (et c’est le plus grand nombre), craint de porter d’avance le fardeau des dépenses que l’industrie provoque, que l’avenir prépare.
Cependant quel est le véritable économe ? Est-ce celui qui surveille les entretiens de l’année ? non, sans doute, c’est l’homme fertile en expédients, qui prévoit le réveil du temps ; c’est l’homme qui étend son pouvoir, resserre sa valeur dans des emplois fructueux et durables. Souvent il risque de compromettre sa faveur en immortalisant sa mémoire ; mais il fait le procès à son siècle pour l’avoir méconnu.
Jettez les yeux sur les sources des salins, vous verrez que leur antiquité
En 1040, Gaucher Ier, sire de Salins, les posséda ; en 1076, Guillaume Tête hardie, en eut la possession : elle passèrent ensuite aux comtes de Bourgogne, aux rois d’Espagne.
37 se confond dans les teintes fabuleusesLes troupeaux attirés par le sel, rallentis dans leurs recherches des sucs nourriciers, arrêtés par l’aridité du sol découvrent les sources.
qui associent le problème aux vérités constantes. Vous verrez des constructions qui portent l’empreinte de la caducité. Le terrain resserré entre deux montagnesLe mont Poupet et le fort S. André.
a circonscrit les dispositions : en effet, où bâtir ? sur la rive inquiétante de ForicaLa Furieuse qui traverse la ville.
?La prudence faisoit redouter les effets de sa colère. On avoit à craindre les torrents qui roulent les rochers, les neiges conservées qui fondent inopinément dans son sein.
Comment obtenir de grandes superficies sans faire des dépenses inconsidérées ou nuire à l’intégrité des sources ? Si le temps confirme les arrêts de la nature, les premiers dispensateurs de l’industrie fixent leurs retraites où le résultat du travail les appelle. Les établissements ont des progrès successifs à raison des produits qu’ils donnent. Ah ! si les gouvernements savoient ce que vaut ce moteur universel des âmes actives, pour donner aux empires la splendeur qu’ils sollicitent !
Bientôt la ville de Salins centralisée dans ses forces, s’accroît par l’indépendance que l’on obtient de son propre fond. Elle présente aujourd’hui l’aisance et les agréments de la société ; les grands intérêts s’éveillent par les petits, le hazard les prépare, les succès inattendus les développent.
Depuis long-temps l’administration voyoit avec regret la déperdition de ses sources ; elle conçoit le projet de mettre à profit les petites eaux
Celles qui sont à deux ou trois degrés de salure.
. Déjà les mémoires intéressés encombrent les cartons ; les échos impuissants fatiguent les voûtes ministérielles ; l’inertie, fille abrutie de l’obstacle, les neutralise. Il falloit un nouveau moteur pour guider la marche toujours lente des résolutions : un mouvement inespéré l’accélère. Le croira-t-on ? Le rêve d’une nuit agitée met en mouvement le levier puissant de l’industrie qui alloit imprimer ses forces. Une scène épisodique, des milliers d’acteurs 38 employés sur le grand théâtre des événementsLe pavillon de Louvecienne.
, facilitèrent à l’artiste le moyen de lier les intérêts de l’art avec ceux du gouvernement. La ferme générale renoue les fils cassés et suit la nouvelle impulsion.Que falloit-il faire pour assurer ses succès ? Il falloit étudier le principe, établir des bases fondées sur les produits, car on sait qu’avant tout il faut les assurer. Sans ce préalable, toute spéculation est nulle : il ne suffit pas de compiler des écrits qui délayent la partialité dans un langage trompeur.
Il ne suffit pas de resserrer ses tempes à l’aide du laiton élastique qui porte les verres d’Argus ; le sentiment sert mieux que les moyens substitués aux longues vues.
Examinons de près ; voyez les chênes, les sapins de la forêt, arriver en poste à Salins pour fonder ces hautes pyramides qui attendent pendant long-temps leur destruction, pour accélérer le degré profitable du sel
Les transports coûtoient 60 000 livres ; on pouvoit les considérer comme un fonds de 1 200 000 livres.
.Que de filtres j’apperçois à travers lesquels fuient les richesses. Voulez-vous les ramener au principe ? ils accumuleront vos ressources.
La distance moyenne étoit de quatre lieues ; il étoit plus facile de faire voyager l’eau que de voiturer une forêt en détail. Un premier effort évitoit ceux qui se renouvelloient sans cesse. Cependant l’exécution n’étoit pas sans difficulté ; il falloit creuser un aqueduc économique
Des sapins perforés et frétés.
dans l’espace de huit mille toises ; percer des rochers, traverser des fleuves rapides, etc. etc.... Sous ces différents aspects, ils paroissent impraticables. Impraticables ! Est-il quelque chose d’impossible ? Agathocle, de potier d’étain voulut être roi, il le fut.Après avoir assuré la possibilité, on propose de construire une nouvelle saline auprès de la forêt de Chaux, en réunissant les capitaux des intérêts perdus. On assemble le conseil suprême, le projet est discuté ; on se fait rendre un compte exact des dépenses, des produits ; on pèse les avantages, on rédige ; on a voit fait la recherche des matières premières, elles étoient aussi abondantes que faciles à extraire.
39Il n’en est pas ici comme du résumé fugitif de la vie, qui laisse des regrets ou des souvenirs que l’on va perdre ; ceux que j’ai acquis, ceux que j’ai conservés sont présents, sont permanents.
Ces constructions dispendieusement érigées par caprice, les unes détruites, les autres au point de l’être, ces matériaux sans valeur, sans attraction, ces entretiens ruineux, ces combinaisons mobiles qui n’attendent pas la durée d’un bail ; la somptuosité de la saline de Dieuze, les souterrains conservés de Salins, la ville élevée par la fécondité des sources, voilà, voilà les motifs qui dictèrent le parti que l’on avoit à prendre. La dépense apperçue étoit considérable, mais les revenus annuels offroient des ressources incalculables.
Un nouvel établissement assuroit des produits fixes pour une dépense fixe. Les projets ultérieurs étoient fondés sur les résultats du temps : il est prudent de lui laisser ce que lui seul peut faire.
Dans un pays où l’exécution (quand on veut l’assurer) devroit précéder la pensée, il n’y avoit pas un moment à perdre ; l’âge d’or de la monarchie offroit aux arts des monuments de bienfaisance et d’utilité publique.O ! véritable âge d’or, lorsque la récompense étoit égale au bienfait, tu laissois au siècle où nous vivons l’espoir pour héritage.
J’étois en évidence, j’étois à l’apogée des faveurs ; il falloit les mériter en prenant le parti que la postérité elle-même n’a pas le droit de réprouver. Quand on est inspiré par le dieu des arts, on ne transige pas avec la Renommée ; attaché à ses ailes, le vol doit être rapide : on foule aux pieds les intérêts secondaires pour suivre la route qu’elle nous trace. La chance est-elle heureuse ? elle confirme la résolution : on ne tarde pas à se convaincre que si les rais de la fortune peuvent se mouvoir par son impulsion, cette divinité chancelante ne mène pas toute seule au temple de mémoire. C’est à l’Architecte à applanir les degrés, c’est à lui de faire disparoître son effrayante attitude.
De tous temps la sagesse régularisa les conceptions exaltées. Idoménée consulte Minerve et communique à Mentor les plans de la ville de Salente et tous les édifices qu’il a conçus pour ses nouveaux états. On s’abuseroit si en alongeant la ligne tant qu’elle peut s’étendre, on négligeoit de la replier sur les loix de la possibilité.
40Je présentai les projets d’une ville avec les accroissements dont elle étoit susceptible ; je l’avois prévu, j’excitai un mouvement convulsif : telle est la nature de l’homme, il est assommé par le poids qui surcharge ses facultés : il semble que l’administration d’un an lui présente le terme de sa vie. Comme si l’obscurité qui s’applaudit de ses forces pouvoit être mise en parallèle avec le génie créateur qui multiplie les sources du bien.
On ouvre les flacons spiritueux pour rappeller des sens égarés ; on consulte des artistes qui vieillissoient à la cour dans une pratique soumise au thermomètre du jour. Gonflés de la dignité qui décèle l’insuffisance, déjà ils fondent leurs débats sur les délits de mon imagination. Au défaut de raisons convaincantes, ils tirent de leur arsenal les armes captieuses du ridicule. Les traitants, aiguillonnés par des rapsodies indigestes, appuient sur les chanterelles discordantes, et fatiguent les oreilles de sons impuissants ; les intérêts se croisent de toutes parts. Chacun se dit en riant : des colonnes pour une usine, des temples, des bains publics, des marchés, des ponts, des maisons de commerce, de jeux, etc. etc… Quel amas d’idées incohérentes ; puis haussant les épaules déjà courbées par l’adulation, ils crient à la folie. Que de préjugés à vaincre !
Tout s’opposoit à ces vues anticipées qui prenoient sur le siècle vingt-cinq ans d’avance. L’impartialité résumoit dans sa tolérance, les avis divers, et disoit en caressant l’idole du jour : on ne peut en disconvenir, ces vues sont grandes ; mais pourquoi tant de colonnes, elles ne conviennent qu’aux temples et aux palais des rois
C’étoit un préjuge que l’on avoit inculqué à Louis XV.
. C’est ainsi que les Architectes, dispensateurs des réputations naissantes, harpies renouvellées, infectent de leur venin le sentier que la jeunesse se fraie au milieu des dangers de l’opinion, et aiguisent les griffes avec lesquelles on déchire son existence.En vain je démontrois que les colonnes employées dans ces édifices ne se trouvoient ni dans les églises, ni dans les palais des rois, ni dans les habitations des particuliers. On n’avoit pas d’exemples à opposer, point de comparaisons à donner, les moyens de résistance étoient épuisés. On avoit employé auprès de moi les fausses couleurs de la complaisance ; ces fantômes qui n’effraient 41 que la pusillanimité, alloient disparaître, lorsque fatigué de tant de débats, à travers lesquels on avoit apperçu les longues oreilles du faux dieu qui préside au goût, le ministre demande le tableau de la dépense, en isolant la faveur accordée aux établissements qui sollicitaient un caractère public. On la compare aux bénéfices ; elle étoit légère
Quarante mille livres.
, les gains étoient considérables : on la triple pour être généreuxOn la paie, on charge l’entrepreneur d’exécuter le tout à ses risques et périls ; on lui permet néanmoins de faire les changements que l’économie bien entendue nécessiteroit.
.Voilà ce que peut la foiblesse quand elle attaque une place forte. Si la raison l’emporte, si elle obtient un provisoire, l’art encouragé prend de nouvelles valeurs, et soumet à sa latitude tout ce qui pourroit déranger sa progression.
Déjà l’aurore du désir s’étendoit sur le monde inspiré et préparoit l’espoir des plus douces jouissances. Le Roi arrête le plan général en 1774, nouveaux débats, nouvelles sollicitudes ; et pourquoi ? Ce qu’un ministre fait, ordinairement son successeur le défait. Il tient un registre indulgent qu’il consulte quand il lui faut des sacrifices pour étayer sa faveur. Les mêmes dangers poursuivent l’artiste : un succès rassemble autour de lui les passions de tous genres ; il est assailli par les intérêts qui se heurtent. Semblable aux lampes exposées à tous les vents, un souffle égaré peut les éteindre. Où va-t-on chercher de furtives privations, quand la troupe des jouissances s’avance et nous assure des produits incalculables. Provocations insidieuses ! Adulations intéressées ! sortez de ma pensée ; éloignez-vous : gardons-nous de compromettre des souvenirs heureux par le tableau des maux passés.
Egayons le présent, jettons des fleurs sur l’avenir. Déjà un doux vent caressoit la terre encore souffrante ; la forêt dépouillée se coloroit ; les oiseaux cimentoient leurs demeures, lorsque le soleil quittant le signe du Bélier pour fertiliser les campagnes, la nature agitoit ses bras pour applaudir aux merveilles qu’elle va produire.
Au printemps de l’année, au printemps de mes jours, je vois des milliers d’hommes s’associer à mes plaisirs ; je les vois élever des pierres immortelles ; je 42 sillonne l’enceinte d’une peuplade laborieuse, dans le plus beau lieu du monde
M. Trudaine étoit administrateur des salines : susceptible du sentiment qui méprise l’intrigue du jour, pour s’occuper du bien que les siècles éclairés approuvent ; philosophe vertueux, il s’étoit adonné de bonne heure aux sciences exactes, à l’économie politique, au commerce, à toutes les connoissances nécessaires à ceux qui sont appellés à occuper les grandes places ; il lutta long-temps contre la puissance financière qui méconnoît les ressources importantes que l’amour des arts développe. Son extrême sensibilité le ravit prématurément à ses amis, et le fit regretter de tous ceux qui savoient l’apprécier.
.C’est ainsi que les fondateurs de Rome sortirent du cahos cette ville célèbre qui dicta des loix à l’univers. Thémistocle bâtit les murs d’Athènes ; ceux de Thèbes s’élèvent au son de la lyre d’Amphion ; Sémiramis construit les murs épais de Babylone. J’étois bien loin de croire que réservé à de plus grands événements, je nivèlerois un jour les boulevards de la plus fameuse cité du monde. J’étois bien loin de croire que des triomphateurs
On devoit couronner les bâtiments que l’on voit sur la levée de Neuilly, par des chars de triomphe guidés par des triomphateurs.
apperçus à soixante pieds sur les Propylées de la Manche et des côtes de Cherbourg, se lieroient avec le ciel pour commander la terre ; que tant d’autres monuments qui attestent à jamais la splendeur d’un grand peuple, rappelleroient des conceptions sorties de la baguette d’une fée conservatriceLes monuments qui forment la clôture de Paris, appréciés judiciairement et contradictoirement à la moitié du droit qu’on ne refuse à personne, 409 000 livres, sont dus.
Mais attendu que ces monuments sont destinés à retracer les triomphes de la nation, il n’y a pas lieu à liquidation (*).
De tout temps les Architectes ont contribué à la splendeur des nations. Rapprochons les époques pour juger des progrès de la civilisation. En 520, Théodoric, Roi des Ostrogoths, fit réparer les murs de Rome, et construire plusieurs autres édifices. Il écrivoit à ses Architectes, qu’il les considéroit comme la plus belle image de la puissance des empires, qu’ils attestoient la grandeur et la gloire des royaumes. .... Ces Architectes marchoient immédiatement avant lui dans les grandes cérémonies, le bâton d’or à la main (**). Ceux d’aujourd’hui n’ont que le bâton blanc !
(*) Passe pour la rime, mais la raison ! .....
(**) Virga aurea : Lettre de Cassiodore.
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